Nos voisins à Petit-lac
Nos voisins à Petit-lac
A Petit-lac nous avions pour voisin, un couple de la soixantaine, Germaine et Eugène, qui exploitaient les quelques hectares qui leur appartenaient dans l'enclave de Petit-lac. En outre ils possédaient à quelques kilomètres quelques prés et de la vigne à Ugnes, sur la commune Châgnes. Eugène était un ancien boucher, à l'approche de la retraite il s'était contenté d'acheter cette "bricole", pour engraisser quelques vaches, labourant une partie des terres pour faire des betteraves, avec un attelage composé d'une jument et d'une bourrique. Malgré tout, ces deux animaux tiraient allègrement la charrue. Eugène attelait aussi cette jument à sa calèche pour aller au marché aux Echelles chaque vendredi. Ainsi, tôt, chaque vendredi matin, Eugène et Germaine partaient au marché, la jument au trot, fromage blanc, lait, crème à l'arrière de la calèche. Généralement ils étaient de retour vers treize heures. Gamins, nous avions remarqué un rituel qui survenait au moment où la calèche passait au dessus de notre jardin. Nous guettions ce moment, prévenu par le bruit des bandages des roues de la calèche sur les cailloux, la jument allait toujours au trot, elle connaissait le trajet par cœur. A cet endroit précis, nous entendions l'Eugène crier à sa jument "Mâgne te donc un peu !". Ce rituel nous amusait passablement, bref nous profitions de telles âneries pour rigoler. Même mon père se mettait de la partie, il aimait bien se moquer de ce brave Eugène. Eugène bégayait, et, lorsque la phrase ne voulait pas sortir, il rajoutait "alors", ensuite toute la phrase sortait d'une seule tirée. Par exemple, il pouvait dire, "Ce matin j'ai vu Duchnoc, on est allé boire un canon, il m'a expliqué qu'il qu'il.......... "alors" mariait sa fille". Et mon père de lui répondre "Avec qui donc qu'elle se se ......... "alors" se marie?" Et ainsi de suite, l'Eugène était tellement accaparé par sa difficulté d'élocution qu'il ne se rendait pas compte que mon père se fichait de lui. Ça nous amusait tous. Mon père en profitait encore plus s'il y avait des personnes en train d'écouter, filialement tout le monde riait sous cape. Même Germaine s'en amusait, disant à ma mère, votre mari, c'est quand même un sacré moqueur...
Certaines semaines, l'Eugène descendait seul au marché, Germaine n'étant pas là pour veiller au grin, il revenait systématiquement bourré, dormant dans la calèche, la jument connaissait la route, 11 kms avec des croisements, et peut-être des voitures à croiser, ce n'était pas grave, la jument savait faire. Le matin avant le départ, l'Eugène préparait la ration de sa jument, garnissait son râtelier de foin, tout était prêt pour le retour. Or un jour, peut-être que l'Eugène était plus saoul qu'à l'habitude, il ne s'est pas réveillé à l'arrivée, le plus naturellement du monde, la jument voulut entrer directement à l'écurie pour profiter de sa ration. Or la porte mesurait environ 1.50 mètre de largeur alors que la calèche faisait au moins 1.8 m de large. Sans hésiter, la jument a franchi la porte attelée dans ses brancards, les deux roues ferrées vinrent frapper contre le mur de chaque côté de la porte, stoppant net la calèche, les brancards cassés, séparés de la calèche. La calèche libérée bascula en arrière, éjectant l'Eugène (C'est certainement de ce jour qu'on a inventé les ceintures de sécurité sur les voitures!) Fatalement, après une série de "non de dieu", dessaoulé par le choc, il repoussa la calèche pour entrer dans l'écurie où il trouva sa jument mangeant tranquillement son avoine, avec les brancards harnachés sur ses flancs. Le lendemain, Eugène rafistola l'attelage, pour pouvoir descendre son "moyen de locomotion" chez Paul Chariot pour une "petite révision".
Au Petit-lac il y avait de la vigne, la maison forestière avait eu la sienne, arrachée par mon père dès son arrivée, venant de Bourgogne, la piquette locale ne passait pas bien....
Eugène avait un commis, que nous appelions le Ger, un petit vieux, boitant, buvant allègrement. Il allait boire au tonneau de l'Eugène, aspirant le pinard avec un tuyau caoutchouc qu'il descendait par la bonde du fut. Un jour Robert et sa copine Pierrette voyant son manège, eurent l'idée de lui faire une farce, et de taille : ils se mirent en quête de fientes de poule, suffisamment liquides pour en garnir le tuyau qui servait à siphonner. Puis ils guettèrent le Ger lorsqu'il allait à la cave. Surprise, il n'y eut pas de surprise, la merde de poule prit le même chemin que le vin, sans même une grimace, il avala tout, nos deux larrons en restèrent quoi devant ce manque de réaction. Ce fut bien des années plus tard que Robert se vanta de cette aventure.
Eugène et Germaine avaient une fille, Lulu, mariée à Emile, un jeune rigolard plus ou moins issu quelques génération plus tôt, de l'autre côté de la méditerranée. Lulu et Mimile eurent trois filles qui venaient en vacances à Petit-lac. Je crois que Robert se sentait venir des ailes au scoubidou lorsque l'ainée, Pierrette arrivait à Petit-lac. Moi, bien plus jeune je ne comprenais pas tout ça, de l'âge de la seconde fille, Micheline, ne comprenant pas la différence entre nos anatomies, un jour Germaine nous surprit alors que nous jouions à qui pissera le plus loin. Ce dut être un beau cliché!
Un jour, Eugène décéda, Germaine ne pouvait plus rester seule à la ferme, elle décida de se retirer à Ugnes, hameau de la commune de Chagnes où elle possédait une petite maison venant de sa famille, quelques rangs de baco, et quelques prés qu'elle loua. Elle loua aussi la fermette de Petit-Lac, à un certain Delpierre Georges, agriculteur à la petite semaine, qui préférait effectuer des débardages en foret avec ses trois chevaux. Il devint notre voisin.
Tout se passa normalement à la suite de son emménagement, les rapports furent normaux avec mes parents. Puis, mon père devint de plus en plus réticent envers ce Georges qui devenait de plus en plus impoli, imprévisible, il buvait, en le voyant émerger de la maison à 9 heures du matin, c'était un peu tard pour un agriculteur, il le classa dans la catégorie des fainéants. Mon père avait ce type de procès facile. Il n'avait pas encore fait le rapprochement avec ses retours vers minuit avec les chevaux. Malheureusement il ne se trompait pas, ce Georges, qu'avec mon frère Robert nous appelions déjà "Ducon" se révéla être un faiseur d'histoires, puis un voleur qui ne payait pas ses fermages malgré les exploits d'huissier à répétition. Mais son activité ne se limitait pas à ce type de "bricolages".
Il débardait du bois, et le soir, lors du dernier chariot chargé, il prenait la route des Echelles pour livrer environ 6 stères et se les faire payer, comme s'il vendait pour le compte de son employeur. Les retours en pleine nuit étaient bruyants, les fers de percherons font du bruit sur la route, en foret ça s'entend à plus d'un kilomètre. Pour mon père, c'était devenu une certitude, il faisait du trafic de nuit. Bref, ce n'était pas ses affaires, mais celle de celui qui exploitait la coupe. L'affaire se déclencha par un hasard. Au cahier des charges de certaines coupes de bois, il était prévu à charge de l'adjudicataire, une livraison de bois de chauffage au forestier du triage (secteur), je crois 25 stères, calibré au dessus de 8 cm de diamètre. Or, mon père reçut son bois, justement livré par Ducon. Surprise, ce n'était que du bois de moins de 8 cm de diamètre, considéré comme de la "charbonnette", autrement dit du bois apte à être distillé pour faire du charbon de bois. Mon père s'en est plaint à Charlot, l' adjudicataire de la coupe, celui-ci répond que dans la coupe il n'y avait pas de gros bois. "Comment lui répond mon père, chaque jour Ducon en livre sur les Echelles !". Devant ce quiproquo, mon père donne des explications sur ces livraisons "fantômes", étonnement de Charlot le marchand de bois, qui demande à mon père, comment on fait pour le coincer. Mon père répond, ce n'est pas de mon ressort, pour moi, il n'y a pas d'infraction au code forestier, c'est une affaire civile entre lui et vous. Mon père n'aimait pas s'avouer vaincu, il dit "Comme il roule de nuit, on peut l'arrêter sur la route pour défaut d'éclairage, je lui dresse un PV, ça nous fait un prétexte pour creuser sur le motif du transport, mais avant, il vous faudrait aller porter plainte contre X pour vol de bois. Ainsi fut fait, Charlot alla porter plainte à la Gendarmerie des Echelles.
Mon père prépara son intervention, il en discuta à la maison, ma mère un peu inquiète, lui dit : Tu sais Ducon est un sacré coco, je ne veux pas que tu y ailles seul, demande à un de tes agents de t'accompagner. Il demanda à Pascal, le corse, de venir avec lui, et bien lui en prit.
Un soir donc, Pascal et mon père non armés, à cette époque les agents des E&F n'avaient pas été réarmés depuis la guerre, mais ça seuls eux le savaient, et puis la nuit ne permet pas de tout distinguer... Bien décidés, ils prennent la DKW, et se débrouillent pour déboucher dans un carrefour de deux routes forestières, juste au moment où Ducon arrivait avec son chargement et sans aucun éclairage. Stoppant en urgence au ras de la jument, mon père et Pascal descendent, pas contents, ils font face à Ducon. Mon père l'engueula:
-j'ai failli vous emboutir, vous n'avez aucun éclairage....
Puis en faisant le tour du chariot il continua,
-Vous allez où ainsi, sans lumière, et c'est quoi ce bois là ?
-Je le livre aux Echelles
-Comme ça, sans lumière, jusqu'aux Echelles, vous êtes quand même gonflé !.....
-Il sort de la coupe à Charlot ?
-Oui
- Vous avez l'autorisation de Charlot pour livrer ce bois ?
-Oui
-Ce n'est pas ce qu'il m'a dit.
-.........
A ce moment, mon père faisait semblant d'inspecter le bois, attendait une réponse qui ne vint pas, soudainement Ducon saisit une hache sur le timon d'attelage et fonça sur mon père, hache levée. Pascal voyant l'affaire cria tout en éclairant Ducon, l'aveuglant, le mettant bien en lumière face à mon père qui fit le geste de saisir une arme dans sa poche de vareuse, une arme qu'il n'avait pas ... Ce geste stoppa net Ducon, aussitôt désarmé par Pascal.
Après avoir signifié au zozo, qu'ils gardaient la hache comme pièce à conviction, mon père remit les choses en ordre en lui rappelant que ça ne changeait en rien l'infraction au code de la route, à laquelle s'ajoutait maintenant une tentative de meurtre à son encontre. Faisant état de la gravité des faits, il enchaina que, devant témoin il le convoquait le lendemain 10 heures à la gendarmerie des Echelles pour répondre aux gendarmes des faits, notamment de la tentative de meurtre, qu'en cas d'absence la gendarmerie ne manquerait pas de le rechercher. (Ceci dit la fameuse hache, après avoir été produite au tribunal comme pièce à conviction, ne fut jamais réclamée, elle se trouve actuellement 70 ans plus tard dans mon sous sol...).
Le lendemain matin, comme à l'époque le téléphone n'existait pas au Petit-Lac, mon père arriva évidemment plus tôt à la gendarmerie pour relater aux gendarmes son intervention de la nuit précédente et le comportement de Ducon. A 10 heures, lorsque celui-ci se présenta à la gendarmerie, le comité d'accueil attendait tranquillement notre héro de la veille, mon père et Pascal, venus témoigner également, attendaient bien patiemment la suite.
Ducon était bien moins brillant que la veille au soir, dans un premier temps mon père lui rappela les faits et sa verbalisation pour infraction au code de la route, que Ducon ne contesta pas, puis il passa le relai au gros "Chatvache" dont la simple taille déliait les langues. Mon père avait porté plainte pour tentative de meurtre, Pascal, avait effectué son témoignage, l'affaire s'engageait mal pour le Charles Martel d'occasion. C'est sur ce point qu'il fut entendu pas moins de deux heures, pour comparaître en correctionnelle quelques mois plus tard, et être condamné à 3 mois de prison avec sursis.
Parallèlement à cette affaire, les gendarmes déjà saisis d'une plainte contre X pour vol de bois déposée par Mr Charlot, marchand de bois, avant toute chose, se sont mis en chasse au travers les Echelles et les commues avoisinantes pour recenser les livraisons de bois que Ducon avait pu effectuer et encaisser. Ces livraisons pour son compte se sont avérées durer depuis plus de 3 ans, dont 200 stères rien que pour l'année en cours. Des bois volés dans diverses coupes, au détriment de plusieurs adjudicataires différents dont les plaintes furent sollicitées ultérieurement. Autant d'éléments qui une fois rassemblés firent l'objet d'un autre procès dans lequel mon père, bien que le détonateur, n'était que simple témoin, témoin du transport et du mode de transport. Cette affaire de tentative de meurtre avait fait du bruit suffisamment haut dans l'administration pour que les agents des E&F voient rapidement des pistolets MAB calibre 7.65 leur être distribués en dotation.
Puis cet individu quitta la fermette de Petit-Lac, celle-ci fut rachetée par les E&F et annexée à la maison forestière, une partie des prés furent plantés de résineux.
Le spoutnick
Cela se passait à l'époque du premier Spoutnick lancé par les Soviets au tour de la terre, vraisemblablement en 1957. Chaque soir étoilé, beaucoup de monde se retrouvait le nez en l'air pour voir arriver ce point brillant qui traversait le ciel en environ deux minutes. A l'époque il régnait une polémique, on parlait de martiens qui envahiraient la terre. C'était la connerie populaire du moment. Heureusement qu'à cette époque il n'y avait pas de TikTok !
Mimile, le gendre d'Eugène notre voisin de l'époque, était un petit marrant, il travaillait aux forges de la Marine des Echelles, il possédait un engin de luxe pour l'époque, un Solex. Un matin, sous la pluie, il creva une roue du Solex. Abrité sous son ciré de vélo, il entreprit de réparer la crevaison. Alors qu'il effectuait sa réparation, un autre ouvrier se rendant également à l'usine, voyant la forme bizarre du ciré en boule avec Mimile à l'abri dessous, en passant il cria interrogatif : MARTIEN ?", Mimile se releva subitement pour répondre "ET MERDE!".
Ainsi, il fut baptisé Martien, traditionnellement lorsqu'on l'appelait ainsi, il répondait " et merde". Avec nous c'était d'ailleurs devenu un signe de reconnaissance, croyez-moi, ça faisait sensation en pleine rue, et nous ne nous en privions pas. Cela le poursuivit très certainement jusqu'à sa mort.
Une anecdote personnelle, plus de 30 ans après ces faits, j'exposais des meubles à la foire exposition de Glandvert. Traditionnellement les meubles Chabrac des Echelles exposaient à la foire exposition de Glandvert. Mimile habitait juste à côté de leur magasin, et chaque année il leur prêtait main forte pour l'installation du stand de meubles de ce commerçant. Cette année là j'exposais dans cette foire. Alors que j'arrivais avec mes meubles, en les montant à la coursive de l'étage où se trouvait mon stand qui surplombant le hall de la foire, j'aperçus Mimile au beau milieu du hall, montant les meubles de Chabrac. Mettant mes deux mains en porte voix, je criai aussi fort que je pus "Martien !". La réponse fut immédiate, de la même puissance, résonnant dans tout le hall de la Foire exposition de Glandvert : "Et merde!" Au moins 100 personnes avaient capté l'échange, regardant partout, s'interrogeant tous sur ce quiproquo. Je descendis voir le martien, nous sommes allés boire un coup à un stand juste à côté pour échanger des nouvelles l'un de l'autre, de nos familles.
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