Installation_à_Aubertin
Installation à Aubertin
Arrivé en 1945 à Aubertin, mon père découvrit la maison forestière. Elle était décemment inhabitable, pas de sanitaires, pas de salle de bain, pas de courant électrique, et encore moins d’eau, les seules eaux disponibles étaient celles du puits et la mare pour les animaux. Une pierre d’évier en guise d’évier, alimentée au sceau ou au broc, l'évacuation se faisait vers un cloaque baptisé « puisard », l’eau du puits était à 26 m. de profondeur. Les WC se résumaient à la cabane en bois derrière la maison, dans la cour des poules où il fallait zigzaguer entre les fientes de poule pour arriver à la porte de ces lieux sacrés.
A cette époque la plupart des villes étant encore alimentées en 110 volts, parfois quelques quartiers connurent cette tension jusqu’en 1975. Dans les campagnes, les électrifications ont commencé en 1954 / 1955, la distribution de l’eau potable commença dans les années 70 et ne furent terminées dans certaines communes du département, que fin des années 70.
Pour l’éclairage, chacun avait recours aux bougies, aux lampes à pétrole et autres artifices. La cuisinière à bois avait une bouillotte sur le côté, remplie au broc, elle donnait l’eau chaude nécessaire aux toilettes et vaisselles. Pour le linge, c’était la lessiveuse et le rinçage à l’eau de pluie recueillie des toitures et dirigées vers une citerne creusée et maçonnée dès l'arrivée de mes parents en ces lieux..
Devant de telles difficultés,et avant les premiers travaux, mes parents décidèrent de louer un logement dans le bourg d'Aubertin. La famille Coton disposant d’un étage libre dans une maison à l’angle des routes de Pulcheux et de Belmont la Fermière, mes parents avec mon frère Robert et ma sœur Suzanne s’y installèrent pour environ deux ans, le temps nécessaire pour rendre la maison forestière digne d’être habitée. Mon père se fit aider, beaucoup de jeunes contribuèrent aux travaux, financés ou plutôt dédommagés par de l’entraide, de l’échange, du troc, car si comme toutes les autres administrations, les E&F, appauvris par la guerre, disposaient de ressources naturelles, le bois, et notamment le bois de chauffage, à l’époque c’était le seul et unique moyen de chauffage pour tous.
Ainsi en ces deux années une citerne fut creusée et installée dans le cour, les eaux des toitures dirigées vers cette citerne. Deux bacs à laver en ciment installés pour répondre aux exigences du linge.
Les pièces furent recloisonnées, replâtrées, peintes et papietées pour les chambres, quelques mois après ma naissance, courant 1947, mes parents emménagèrent dans cette maison.
5 mars 1947, Aubertin, ma naissance.
En ce 5 mars, ma mère se préparait à ma naissance, soudainement elle fut prise de coliques, une chose que toutes les mères connaissent, avec toutes les fausses alertes et autres aléas.
A croire que déjà avant naissance, j’étais un gamin « pressé », pressé de voir le jour…
La sage femme et le médecin le plus près devaient être à 10 kms. Après avoir appelé le médecin depuis la cabine téléphonique de l’Agence postale de la commune, pour assister ma mère, dans l’immédiat mon père avait appelé une voisine considérée comme « experte » en matière d’accouchement. Pendant ce temps là, ma mère, dans les difficultés que l’on peut imaginer, prise de coliques indéfinissables, prit place sur le seau hygiénique qui ornait la chambre. Une fois en place sur le seau hygiénique, entre coliques et envie d’uriner, prise de court, elle me largua littéralement dans le sceau hygiénique, tête première. (imaginez qu’elle ait eu le courage et la force de se rendre à la cabane en bois au fond du jardin)
Ainsi donc je suis tombé sur la tête à la naissance ! Une arrivée sur terre qui me fut rappelée fréquemment par ma mère, mon père, mes frères et sœur, mes parrains et marraine, j'y avais droit à chaque fois que je faisais un « miracle ». Dieu sait que j’en ai fait au cours de ma vie, et comment … Il me fut même dit qu’il n’était pas surprenant que je soie devenu parachutiste à 19 ans pour avoir commencé l’entraînement le jour de ma naissance…
Mes parents s’étaient intégrés à la vie du bourg, la principale activité avait lieu le soir, au tour des 3 bistrots, et des quelques petits commerces ou artisans installés au tour de la place publique.
Un soir au café tenu par la belle-sœur de Lucien Lenclume, la femme du forgeron du village, Armand Lenclume, de boutade en boutade, mon père, d’un naturel assez blagueur dit un « drôle de village que celui d’Aubertin, mon gamin arrive sur la tête, dans un logement en face de l’église, une église, ornée de pissotières surmontées d’une pancarte informant que « La mendicité est interdite sur la commune d’Aubertin, c’est pire que Cloche Merle ». Depuis pas mal d’années, il régnait dans la commune un conflit digne de Pépone et Don Camilio. Allez savoir l’origine de cette tension permanente entre le représentants du goupillon et celui du marteau et de la faucille. Toujours est-il que les « pissotières » avaient été installée en ce point pour « emmerder » le curé, la pancarte sur la mendicité fut installée dans le même esprit, en provocation du représentant de la charité chrétienne. Bref une belle vie de bourg dont mon père s’amusait bien.
1945/1947 et années suivantes, à Aubertin.
Bien évidemment mes parents firent connaissance des habitants du bourg, mon père fréquenta les bistrots comme le reste des commerçants, discutant et se faisant beaucoup d’amis.
Parmi les amis on trouvait Madame et Monsieur Cocogne, instituteurs, qui régnaient sur l’école de la main des maîtres de l’époque, dans le calme, la sévérité, l’exigence, imposant la politesse aux garnements. Marcel Cocogne était en guéguerre avec le curé, se livrant à un jeu de cache-cache lorsque des élèves devaient faire leur « retraite » en préparation de la communion, Monsieur Cocogne, en parfait disciple de Jules Ferry faisait tout pour éviter les sorties de classe pour le culte, ou les sorties des enfants de cœur pour les enterrements, autant de chicaneries qui ne faisaient que nous amuser, bref c’était la vie du village.
Mon père jouait du saxo, il devint ami avec Bébert Chapeau qui jouait du violon et de l’accordéon, Polo qui jouait de la batterie, et aussi un autre dont j’ai perdu le nom qui jouait aussi de l’accordéon. Les 3 bistros possédaient une arrière salle pour les fêtes, mais aussi pour les bals quand l’occasion se présentait. Ainsi, l’après guerre fut fêté, une relâche après les sales années qui venaient de s’écouler. Vraisemblablement il en fut ainsi dans tous les villages de France, une population coincée entre l’envie de revivre et des pénuries qui persistaient encore, mais se sachant libérée de l’envahisseur nazi.
Le baby-boom dont on parle tant aujourd’hui, a incontestablement puisé ses ressources dans ce climat d’optimisme. Un baby-boom d’aujourd’hui, qui dans les années 50/60 donna une bonne bande de lurons où chacun chercha sa place.
Mon frère Robert, tout gamin, a vécu cette période pleinement, par exemple, puni le soir par l’instituteur, traversant le bourg pour rentrer à la maison en clamant à qui voulait l’entendre « j'ai été puni ! », ou rejoignant mon père au bistrot, lorsqu’un jour il tira le bras du conducteur des E&F, Jean Guiot, pour lui répéter ce qu’il avait certainement entendu dire …
-Mon papa a dit que t’étais un con.
-Ah bon, ton papa a dit ça ???
-Oui, parce que tu avais mal ramoné la cheminée de la Fernande…
En effet, ce brave chauffeur aidait à combler un peu la solitude de cette brave Fernande qui avait perdu son mari à la guerre. Un soir, la cheminée de cette brave dame, ramonée peu de temps auparavant par Jean Guiot avait pris feu. Cette réflexion amusée était venue à mon père très friand de ce genre de choses, et cafetée par mon frère Robert en plein bistro créant une rigolade débridée.
Robert a toujours été un petit pince sans rire, moqueur discret, trouvant les jeux de mots, aimant bien les histoires et les jeux de mots. Un jour, toujours au bistro, se trouvait le bourrelier, Mr Bitture, Robert faisant le tour des tables, disant bonjour, il s’adressa à lui : « Bonjour Monsieur Bitture »….. Puis après quelques secondes de réflexion :« Bitture qui pète la vapeur sur le beurre ». Et splash, dans l’hilarité générale, Robert se ramasse une bonne gifle, mon père prit part à la rigolade, pas peu fier de son fils. Rendez-vous compte, imaginez aujourd’hui, une telle gifle, nous aurions droit à une mise en examen, nomination d’un juge d’instruction et 3 mois de tôle avec sursis pour ce brave Bitture.
Le bourg est situé au carrefour de deux routes départementales qui débouchaient sur une place triangulaire. Jusque dans les années 60, au beau milieu de la place trônait un puits surmonté d’une pompe, placée devant la pompe, une grande auge servait à faire boire les animaux, principalement les chevaux des attelages agricoles et forestiers. Le soir après l’école, cette pompe devenait fréquemment le point de chahut des gamins. Nous prenions à la pompe de l’eau plein la bouche, pour se courir les uns après les autres et nous arroser mutuellement, un jeu qui ne prenait fin que lorsqu’un adulte surgissait pour mettre de l’ordre et surtout, éviter qu’on détériore cette pompe. Cette pompe était à l’époque de la plus haute utilité, tout le bourg venait y prendre l’eau au sceau pour la maison et la consommation, C’était un luxe par rapport aux margelles qui équipaient la majorité des puits, dont il fallait tourner la manivelle.
Au tour de cette place, il y avait 3 bistrots dans lesquels les ouvriers se retrouvaient le soir après leur travail, parfois pour jouer aux cartes en vidant chopines sur chopines, du rouge qui ne devait guère passer les 8°, généralement du baco local qui tachait copieusement ! Heureusement, les tables étaient de couleur rouge ! Du Formica rouge sombre, tout nouveau pour l’époque.
Sur la place, se trouvait également une boulangerie tenue par Médaoui et sa femme, ils avaient 3 enfants que nous côtoyions à l’école, Pétrelle, leur fille, bégayait, évidemment les moqueries fusaient de toutes parts. Qui l’avait baptisée Pétrelle ? Pourquoi ? Toujours est-il que la pauvre a bien souffert de ces âneries. On trouvait aussi une petite épicerie/mercerie/journaux, tenue par une vieille fille, Elise et sa mère, juste à côté un atelier de menuiserie tenue par le frère d’Elise, Armand Prolo, également célibataire jusqu’à l’âge de 60 ans, lorsqu’il trouva enfin l’âme sœur, juste après la menuiserie il y avait le forgeron Armand Lenclume, dans la rue du Crot, l’atelier du charron, Paul Chariot. Armand Lenclume, était le frère de Lucien Lenclume, un des adjoints de mon père, un agent forestier né à sur la commune, lui-même fils de forestier. Armand Lenclume était premier adjoint, il jouait le rôle de gendarme local, le coup de gueule facile, mais pas méchant pour deux sous. Avec Armant Duriaut, agriculteur, dont la femme tenait le troisième café de la place, c’était le quartier des Armand !
Dans l’autre rue se trouvait une boucherie tenue par Mr Cornard, reprise plus tard par Guy Toubon, et sur l’autre face de la place, un coiffeur dont les tondeuses ne coupaient jamais, nous tirant les cheveux, puis un des 3 bistros, et je crois aussi la boutique du bourrelier Bitture.
En plus de cette activité, deux fermes possédaient leurs écuries en plein bourg, celle d'Armand Duriau, le troisième Armand du bourg, et la ferme de Masseur. Lors de leurs déplacements, les vaches décoraient allégrement les rues, les bouses y séchaient alors que les crottins de chevaux étaient récoltés rapidement pour le jardin, les femmes, pelle en main, se lançant dans de véritables course au crottin. Imaginez cette situation aujourd’hui à une époque où l’intolérance est devenue reine …
Un peu plus loin on trouvait une Agence postale, à laquelle était rattaché un facteur, Barbot. Celui-ci parcourait sa tournée à vélo, il partait à 9 heures, et rejoignait l’agence postale vers 18 heures, la levée avait lieu à 19 heures, et votre lettre était distribuée par exemple à Marseille le lendemain, quelle performance sans TGV à l’époque ! Oui, mais les gens bossaient … La receveuse, Mme Chariot, l’épouse de Chariot, le charron, avait la cuisse facile. Un jour Paul Chariot la surprit en pleine action avec je ne sais plus quel matador. Ce fut un déclenchement de violence. Alors que nous sortions de l’école, en passant, nous vîmes voler les pots de confiture par les fenêtres, puis Paul Chariot sortit les meubles dehors pour y mettre le feu. A ce moment intervint Armand Lenclume et d’autres hommes pour stopper le cocu en pleine vengeance. Bref, ça fit un sujet de discussion à Aubertin.
Ce bourg était habité majoritairement, par des familles d’ouvriers, pour la plupart ils travaillaient à 7 kms, à l’usine des Echelles « Les Forges de La Chaussade », un arsenal de la Marine Nationale, une usine qui fabriquait des pièces pour tous les arsenaux français. Cette usine recueillit une partie des effectifs militaires de l’arsenal de Mers le Kébir lors de l'acaparation de l’Algérie en 1962 par les terroristes islamiques, pour fermer à son tour dans les années 70. Cette fermeture entraîna une répartition des effectifs et familles sur les différents arsenaux de métropole. Quoique puissent en dire aujourd’hui les bobos qui ne connaissent pas le sujet de l’Algérie française, cette population pour la majorité issue d’Algérie, fut très respectée localement, ceux qui ont travaillé à leur côté ont su les apprécier. Cette intégration fut très bien réussie, à contrario de celle de certains harkis, qui, après avoir servi honorablement la France, leur pays, furent tristement laissés à leur sort dans le sud de la France ou pire, abandonnés en Algérie au couteau des égorgeurs islamiques du FLN.
Juste en face de la pompe, sur la place, il y avait l’église, un lieu sacré dans lequel les gamins que nous étions, n’osions pas trop nous aventurer, d’autant plus que plusieurs bigotes du bourg avaient l’œil sur nous…C’est en cet édifice que je fis mon catéchisme le jeudi, parfois le dimanche avant la messe, et où, comme mes frères et ma soeur, je communiai.
Très souvent j’étais absent au catéchisme. Partant de Petit-lac, je faisais les 5kms à vélo, en général accompagné de Guy Mygré qui habitait au hameau des Brûlots. Je quittais la maison lance pierre en poche, Guy de même, et très souvent nous partions à la chasse aux merles dans les haies, mais sans jamais en attraper un seul. Ensuite nous rentrions à la maison comme si de rien n’était. Mais parfois le curé se manifestait auprès de mon père lorsqu’il l’apercevait au bistro. Ensuite, même si ça amusait mon père, ma mère ne disait pas pareil, parfois les baffes bien méritées venaient clore l’incident… Ou alors nous faisions des courses à vélo avec Michel Savon d’un autre hameau, j'étais Robic, et lui était Bobet. De belles rencontres du jeudi !
Sur notre trajet d'école se trouvait le hameau de la Gouttière, avec une côte à près de 25% dans les derniers mètre, et une maison de chaque côté, celle de la Liline, et de l'autre côté celle de la mère Maniquaire, deux petites vieilles qui passaient le clair de leur temps à discuter chacune de leur côté de la route. Liline était curieuse comme une pie, elle questionnait toujours les gamins, qui montaient la côte à pied. Un soir Robert remontait, poussant son vélo avec un petit paquet pendu au guidon, je crois que c'était une paire de chaussure que ma mère avait donné à réparer à Bitture, le bourrelier qui faisait aussi office de cordonnier. Alors qu'il passait devant les deux femmes, Robert, toujours poli, leur dit bonjour. Réponse de la Liline:
-Bonjour mon p'tit Robert, ça a été l'école ? ... C'est quoi ce paquet que tu as accroché à ton guidon ?
-Un paquet de merde ! Lui répondit aussi sec Robert en continuant calmement son chemin.
La Liline tourna son cul pour rentrer chez elle pendant que la mère Maniquaire partit à rire sous cape. Robert ne s'en vanta pas, l'affaire fut connue par des voies détournées, très certainement par Lucien Lenclume qui rendait régulièrement visite à Mme Maniquaire veuve d'un forestier que Lucien avait connu. Cette affaire avait bien amusé mes parents, au point d'en reparler fréquemment.
Une autre fois, alors qu'il remontait de l'école avec un copain qui habitait les Brûlots, qui, sauf erreur de ma part s'appelait Willy, le fils d'un allemand qui avait choisi de rester en France après la guerre de 1940. Il du faire quelques farces avec Robert si j'en juge celle que je vais rapporter.
En remontant de l'école, ils avisent la charrette à bras du père Clémendot, le cantonnier. Celui-ci la laissait le soir au bord de la route, chargée de gravats ou cailloux. Tout près de l'endroit où était cette charrette il y avait un chemin en pente, très en pente sur une bonne centaine de mètres. Ils prirent la charrette à bras, et la firent dévaler la pente, se disant que le père Clémendot allait s'amuser pour la remonter. Le lendemain, le père Clémendot, voyant sa charrette les roues en l'air en bas de la descente comprit de suite qu'il s'agissait d'un coup tordu des gamins. Il la laissa en bas du raidillon, et vint expliquer l'affaire au père Cocogne l’instituteur qui comprit de suite que les coupables n'étaient autres que les deux seuls gamins qui rentraient chez eux par cet itinéraire, c'est à dire Robert et son copain Willy. En punition, il les pria de remonter la charrette à sa place, le soir même.
Rendus à pied d’œuvre, nos deux gamins se rendirent compte que remonter la charrette s'avérait impossible par le raidillon, il leur fallut la tirer en passant par un autre chemin passant en dessous de la maison forestière de la Douette, soit un bon kilomètre dont la moitié très en pente. Je crois qu'ils ne touchèrent plus jamais cette charrette.
Au hameau des Brûlots il y avait une petite ferme de quelques hectares, exploitée par son propriétaire, un auvergnat, avec l'accent de son pays, et la légendaire radinerie. Il avait un moteur Bernard du type de celui de mon père un W1Bis à refroidissement par eau, de 5 CV alors que celui de mon père n'était que de 3 CV. Celui du père Condamine tomba en panne, il vint voir mon père, et devant Robert et moi, dans son accent, dit à mon père : "Mon putaingg de mottteur l'a pas voulu démarrer. Il a fait pète, pète, pète, et pis pus pète !" Robert et moi nous sommes sauvés pour rire plus loin. Mon père toujours prêt à dépanner les autres prit la DKW et alla dépanner ce moteur, certainement un souci de vis platinées, toujours est-il que le moteur tourna normalement après l'intervention de mon père. Sauf que Robert avait déjà baptisé Condamine :" Mon putaing de moteur", désormais, cet homme fut désormais appelé ainsi. Il vendit sa ferme quelques années plus tard, celle-ci fut rachetée par Mr Sauterelle, chez qui je fis mes premières expérience à tracteur, sur un Fiat à pétrole et qui démarrait à l'essence avant qu'on le bascule sur le pétrole. L'accélérateur était au volant, l'embrayage au pied droit, et pour seul frein, un frein à main sur le différentiel qui stoppait brusquement l'engin. Cet engin, à seulement trois vitesses en avant et une marche arrière servait à l'origine, à tirer les avions sur les tarnac, mais s'avérait incalable dans les champs.
Déménagement et installation à la maison forestière
Une fois installé à la maison forestière, mon père se pencha rapidement sur le problème de l’éclairage. Si dans la cuisine, une suspension avec lampe à pétrole permettait de ne pas se piquer le nez avec la fourchette, c’était très limite pour lire, sans oublier Robert et Suzanne qui devaient faire leurs devoirs, je me rappelle entre autres mon frère Robert qui allait à vélo, au Cours Complémentaires des Echelles , soit 11kms le matin, 11 kms le soir faisant ses devoirs dans sa chambre, collé à une lampe à pétrole…. Cet établissement communal à l’époque est devenu CEG un peu plus tard. Personne ne pensait à se plaindre, beaucoup avaient un sort bien pire que le nôtre, mon père encore moins, sa solde était très honorable par rapport à celle des autres fonctionnaires, sans parler des faibles revenus de la population locale, vivant du milieu agricole ou bûcherons en foret, travaillant à la hache et au passe-partout, rappelons que les tronçonneuses n’existant pas à cette époque. C'est en cette maison que je passai mes 19 premières années.
Pendant la période 45/47, où mes parents habitaient au bourg d'Aubertin, mon père fit beaucoup de connaissances, des connaissances qui lui permirent de faire beaucoup de choses, comme entre autres l’électrification de la maison forestière, alimentée par une éolienne construite de toute part, haute de plus de 10 m, érigée sur 4 troncs de tremble, surmontés d’une plateforme métallique (venant de l’usine des Echelles), avec un axe central, un chemin de roulement avec des billes qui ne faisaient pas moins de 30mm de diamètre chacune, un gouvernail de 3m de long et une rosage de plus 2 m. de diamètre. Le tout actionnait une boite de vitesse de moto inversée pour multiplier la vitesse de rotation au lieu de la réduire, boîte commandant à son tour une dynamo de camion en 24 volts (courant continu).
Le courant généré était conduit à la maison par des fils de cuivre sur des godets récurés sur d’anciens poteaux téléphoniques. En bout de ligne, mon père avait installé des batteries en série pour arriver à environ 110 volts. Tout ceci fonctionnait à merveille, sauf que l’essentiel faisait parfois défaut : le vent.
Bien que située à peu près au point culminant de la foret, effectivement, parfois le vent faisant défaut à cette éolienne, il fallait alors économiser les batteries, la lumière, souvent les lampes à pétrole reprenaient du service.
Mon père était rarement à court d'idées, il possédait un banc de scie équipé d’un moteur Bernard W1 bis de 3 CV, refroidissement à eau, il décida de l’utiliser en secours, c’était l’ancêtre du groupe électrogène d’aujourd’hui. Il se procura une seconde dynamo en 24 volts, monta une énorme poulie pour courroie trapézoïdale afin d’entraîner en multipliant la vitesse de rotation de cette dynamo et pouvoir tourner en vitesse moteur réduite. Ainsi lors des périodes sans vent, il suffisait de démarrer ce moteur Bernard, le régler en ralenti légèrement accéléré, toutes les batteries se rechargeaient à bas régime, en cette période d’après guerre où les restrictions subsistaient, l’essence manquait, pouvoir tourner au ralenti n’était pas négligeable du tout.
Puis mon père installa une lampe par pièce et quelques prises pour des lampes de chevet, une prise installée dans la cuisine était réservée au sacro-saint poste radio !
Ah la radio ! Si ma mère écoutait parfois de la musique tout en faisant son travail, lorsque l'heure des informations arrivait, c’était « Silence les gamins, », il y avait des tabous à respecter, les informations, les chansonniers « du grenier de Montmartre », autrement dit le Cantelou de l’époque, et le dimanche « les dernières nouvelles de demain » par Geneviève Tabouy avec sa voix grinçante qui agaçait particulièrement Robert. Autant d’émission où le silence était la règle paternelle. Pour nous dérider un peu, nous avions droit au feuilleton « ça va bouillir avec Zappy Max », le « Quitte ou double » avec les débuts de Guy Lux.
Cette installation fonctionna jusqu’en 1954 ou 1955, date à laquelle l’EDF, dans un programme d’électrification alimentant les hameaux, nous gratifia d’une ligne traversant les bois pour nous distribuer le 220/380. Finie l’époque éolienne. Rapidement une installation révisée fut mise en place pour accueillir ce 220, et, eurêka, ma mère eut droit à son premier frigo. Un frigo à absorption, les frigos à compression coûtaient très cher. Finis, lait, crème, beurre, viande et autres aliments suspendus au bout d’une corde dans le puits pour les tenir au frais, rappelons que c’était la seule méthode pour tenir au frais dans les zones dépourvues de courant électrique.
Autre chamboulement de notre vie, l’installation d’un groupe surpresseur pour avoir l’eau du puits au robinet, sur l’évier. L’eau du puits était à 26m. de profondeur, comme il est impossible d'aspirer de l'eau au-delà de 6/7m, il fallut installer un groupe immergé à plus de 26m. Celui-ci refoulait l’eau vers le haut, vers la cave, où cette eau comprimait dans le réservoir pressurisé une poche d’air qui maintenait la pression d’eau jusqu’aux robinets. Quel luxe pour ma mère, l’eau sur l’évier ! Et pour remplir une machine à laver !
Mais que de problèmes avec ce groupe immergé, nous étions en bout de ligne EDF, et par temps d'orage, cette ligne à fils nu, traversant la foret, recevait fréquemment la foudre. Or, ce groupe immergé faisait une parfaite mise à la terre, et malgré les fils de terre en haut des poteaux électriques, parfois la foudre passait outre pour venir griller ce moteur immergé. il fallait le remonter au palan, mètre par mètre pour le remplacer, pour ma part j'ai participé à deux de ces opérations de remontée.
Avec l'arrivée de l'eau sur l'évier, la décision avait été rapidement prise d’acheter cette machine à laver le linge, c’était rare à l’époque, je me rappelle, c’était une Sholtès, cuve en cuivre et rotor à pales caoutchouc au fond + un cylindre troué en inox, qu’on rajoutait sur les pales caoutchouc, dans la cuve pour l’essorage. Quelle chance pour notre pauvre mère qui passait son temps à laver le linge des bricoleurs sans précautions et coureurs des bois que nous étions, laver nos habits, souvent confectionnés par elle, avec sa machine à coudre, ou pire, laver les tenues en drap de mon père… Quelle bouffée d’oxygène pour elle !
Ma mère avait appris la couture par sa sœur Julienne, couturière de métier, elle excellait dans la pratique de l’article 22 du code D. Elle rapiéçait, recousait nos déchirures, et même, ce que nous détestions, lorsque le tissu n’en pouvait plus de nos exploits, elle nous cousait parfois des ronds aux fesses des shorts. Grimper aux arbres, chercher les nids de geai et déchirer quelque habit en redescendant était courant. Aussi et à l’inverse, mon frère et moi avons porté avec un certain plaisir, des chemises kaki taillées et cousues par ma mère, faites dans de la toile de parachutes récupérés par mon père lors des parachutages pendant la guerre de 40. Elles étaient légères et très agréables à porter, je crois en avoir porté une bonne partie des années 60.
Commentaires
Publier un commentaire