Chapitre - 9 : Sociétés SATNOM et PLI

 

Sociétés SATNOM et PLI
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Retour en Aout 1990
Après mon départ de chez Brisure, j'embauchai chez SATNOM, recommandé par Lulu, un des anciens chefs d'équipe de chez Brisure. Un soir après le travail je rencontrai le patron de cette société, Pierre Perlouze. Il avait à l'époque 67 ans, ingénieur en géothermie de formation, il avait pris la direction d'une usine  achetée quelques années plus tôt. C'était un homme au caractère fluctuant en permanence,  entre la gentillesse et des réactions musculaires, abruptes. Avec le recul du temps, je me demande comment nous avons pu nous apprécier au point de collaborer 4 ans sans klash. Oh il y eut des coups de gueule, je crois même que parfois ça lui manquait, qu'il me provoquait ! Son professionnalisme me plaisait, on pouvait se projeter sur de nouveaux produits, échafauder des calculs de production, ça nous plaisait bien. Problème il avait un énorme défaut : c'était un compulsif au grand désarroi de la comptable, une femme de 55 ans, de la vieille école, chez qui chaque absence du patron devenait une hantise : "Quel achat aura-t-il fait encore pendant cette absence", sur un salon, ou tout simplement en vacances avec sa minette, la secrétaire principale de la boîte, Titine, la fille de Lulu, celui qui m'avait fait embaucher. En effet Titine avait plus de 30 ans de moins que celui qu'elle épousera quelques années plus tard, rien n'était trop beau pour sa nénette, il paraîtrait qu'on appelle ça l'amour. Est-ce que les taloches qu'il lui filait par moment faisaient partie de cet amour? Je ne m'étendrai pas sur le sujet, parfois il y a l'argent, mais les coups avec ? ... Malgré ça Titine était très professionnelle, une personne responsable avec qui j'ai également apprécié travailler. Personne n'a jamais éclairci ce dysfonctionnement des hommes vis à de leurs épouses. Pour revenir à l'aspect compulsif de Perlouze, par exemple, la comptable l'avait vu arriver à un retour de vacances au volant d'une Porsche, une autre fois au volant d'un Voyageur V6, etc. Chaque absence du patron  était sa hantise.
Pire à une époque où il devait se trouver un peu plus argenté, il a acheté un chantier naval basé à La Rochelle. Ainsi l'étage de l'usine se fabriquaient des bateaux, avec son équipe, et un spécialiste de la construction marine et du polyester. De mon côté tout ce qui était au rez de chaussée relevait de ma zone d'activité, des tonnes de machines lourdes, trois transformateurs qui ne donnaient pas moins de 30000 francs de facture /mois en 1990. De tout ça il fallait sortir du boulot.
Mon premier jour d'embauche fut une veille de reprise de vacances, Pierre Perlouze et moi avons passé en revue toutes les machines, tous les produits utilisés, abordé les méthodes de cintrage à chaud du stratifié, c'était très instructif, nouveau pour moi, un éventail immense dans lequel je devais faire mon trou.
Le lendemain je fis connaissance du personnel, l'atelier était  partagé en deux, l'usinage et le montage des éléments de meuble, ainsi que du postformage statique à l'inverse du postformage en continu à la chaîne. L'autre partie de l'atelier  était réservée au débit des matériaux et à l'usinage des supports.
Au cours des présentation, un chef d'équipe me glissa en rigolant certes, mais me le dit quand même, d'autant plus que c'était vrai "J'espère que vous allez tenir le coup, car de vos deux prédécesseur, l'un est devenu fou, enfermé à Châtré sur Loire, et l'autre c'est suicidé.  Quel départ c'était un juste présage de mes soucis des années à venir dans cette boîte.

Dans les premiers  jours, j'observai les flux de panneaux, et constatait de suite un dysfonctionnement dans les transferts de machine en machine, une perte de temps qui grévait tout l'atelier. Sur une partie de l'atelier, le transbordement de machine à machine était assuré par un pont gerbeur qui rouait d'un bout à l'autre de l'atelier, plus souvent à l'arrêt qu'en fonctionnement, c'était les conducteurs de machine qui assuraient les déplacements d'une machine à l'autre, pour moi, cela me parut de suite une aberration, il était évident qu'une personne de plus aurait fait disparaître les arrêts de machine, et les amoncellements de palettes de panneaux sur d'autres. Je m'en ouvrai au patron, qui m'envoya aux pelotes en disant, qu'il n'était pas question de prendre du personnel supplémentaire.
Qu'à cela ne tienne, je me fis expliquer les commandes de ce pont gerbeur, et chaque fois que je remarquai une palette en attente, je prenais les commandes de ce pont gerbeur pour la déplacer vers la machine sivante. C'est ainsi que sans arrêt le roulement de ce pont résonnait dans les bureaux, attirant le patron dans l'atelier. M’apercevant dans la cabine du pont, il tourna son cul et rentra au bureau. Le personnel était aux anges, au moins un chef qui tombe la veste! Les dernières barrières tombèrent, on discuta de ce souci de distribution, d'abord avec les deux chefs d'équipe, puis avec Titine la "poule du patron". Le constat fut rapide, à l'époque il fallait six jours pour passer un semi remorque de panneaux, les plaquer, calibrer, calibrer les chants, etc. Au bout de 3 jours, j'allai voir Titine pour lui dire qu'une  semie était palettisée, prête à charger, qu'il fallait prévoir le transport.  Le vieux, c'est ainsi que le personnel appelait le patron, n'est pas venu se plaindre, 8 jours plus tard, sans être au courant je vis se présenter un gugus qu'il avait embauché comme cariste.
Ainsi toute la journée les flux fonctionnaient sans interruption, les seuls arrêts étaient les changements d'outils, et les nettoyage de bacs à colle, que je programmai pour  les soirs, au grand plaisir des deux gars de l'entretient, qui en avaient marre de faire les intervention sous pression, en catastrophe parfois en pleine journée lorsque les alimentations de colle se bouchaient, ce qui arrêtait la production de cette machine. Je décalais leur emploi du temps, c'était des jeunes qui habitaient tout près, donc pas de souci.
Arriva ma première paie, surprise, le montant n'était pas celui prévu, mais pas du tout : 2000 francs de plus ! Du jamais vu, c'est pas possible, c'est une erreur, je fonce voir la comptable pour lui signaler cette erreur. Avec un grand sourire elle me dit, "Non, pas du tout, il faut voir ça avec le patron". D'emblée je frappai chez le patron, pour lui faire part de ma surprise, sa réponse fut simple : "En 8 jours vous avez mis en évidence une erreur qui se perpétue depuis des lustres, continuez ainsi, ça me convient très bien". Après l'avoir remercié, je lui signalai d'office qu'il allait falloir faire du changement dans l'atelier, qu'une plaqueuse de champs causait trop de loupés, qu'il faudra changer une tête de coupe " Pas trop vite me dit-il, notez, et on reparlera de tous ces détails qui coincent." Ceci était un autre aspect des choses, lui faire avaler des décisions d’investissement s'annonçait déjà plus coriace.
Après ce démarrage qui bouleversait un peu les habitudes, il me fallait gagner la confiance de l'ensemble du personnel. Je commençai déjà par écouter, tout écouter, de la doléance infondée ou syndicale, à la doléance pour le mauvais fonctionnement de telle ou telle machine. Je m'attachai à régler les soucis d'organisation, et les pannes une à une, mes deux ouvriers d'entretien faisaient très souvent des exploits, très souvent avec peu de choses, par exemple réparant des pièces, le patron ne voulant pas lâcher de grosses sommes. Toujours est-il que je réussis à lui faire alimenter les frais de réparation. Parfois je leur donnais la main, se sentant soutenus les deux gars les deux ouvriers d'entretient donnaient du leur, parfois y passaient la nuit, sachant que je me battrai pour le paiement de leurs heures supplémentaire, et que je savais l'obtenir. Les pannes diminuaient. A savoir qu'une panne sur une plaqueuse de chants, ou la postformeuse en ligne, déréglait pas mal de choses. Pire la disjonction d'un transformateur, ou la microcoupure de l'EDF qui étaient nos voisins fichait tous les réglages en l'air. En effet, dans ce cas, les moteurs de calibrage cessaient de tourner, alors que la chaine s'arrêtait progressivement, résultat, 4 heures de réglage à deux personnes. Après moult coups de gueule avec les gens de l'EDF, nous avons obtenus d'être avertis des délestages EDF. Ce fut déjà une grande amélioration, il valait mieux arrêter les machines lourdes une demi heure que d'en passer 4 à les remettre en ordre de marche, ou parfois les laisser tourner à vide en attendant la fin d'alerte. Didier, l'un des deux agents d'entretien, électricien avait une habilitation EDF lui permettant l'accès aux transformateurs, cette habilitation nous fut bien utile sur ce problème. Patrick, l'autre agent d'entretien, chaudronnier de métier se montra expert pour la réparation de pièce, le montage de chaines de transport, ainsi qu'en mécanique pure.
Dans le personnel, il y avait deux femmes, deux "petites mains" spécialisées dans les finitions délicates, aussi des personnes sures.
L'une d'elle était en outre la responsable de la défonceuse à commande numérique, elle faisait correctement son travail, un seul souci, elle avait le feu au cul. Un feu que plusieurs employés de la boîte tentèrent d'éteindre, sans succès, elle était douée, le patron disait qu'il l'avait achetée avec la machine, en effet, connaissant la machine sur le bout des doigts elle fut embauchée en même temps que l'achat de la machine,  formée par le constructeur, Dubus. Un jour, la machine tomba en panne, on fit appel à Dubus qui dépêcha un technicien. Surprise surprise, elle lui sauta au cou, ils se connaissaient depuis l'ancienne usine où cette machine avait été installée. La machine devint de plus en plus souvent en panne... Puis un jour cette fille nous quitta pour retourner chez Dubus avec son "dépanneur". Je dus me mettre en quête d'un conducteur de CN, je trouvai une grande brèle pas sociable, mais qui finit par gérer correctement cette machine et qui savait intervenir sur la partie robotique.
Tout marchait pour le mieux de jour en jour, cela se sentait dans les résultats.
Il y avait une ombre au tableau : le personnel, par le passé, n'avait jamais pu obtenir des congés payés sans être rappelés en raison de retards de commande. Vu l'avancée des choses, arrivé en aout 1990, en décembre je leur proposai un challenge pour les vacances d'été : la fermeture totale de l'usine pendant 3 semaines été 1991. Ça ne s'était jamais vu. Il y eut les septiques, rapidement ils prirent le train, parfois bousculés par leurs collègues. Mais il me fallait convaincre le patron... Ce fut une toute autre affaire, je l'attaquai en lui disant  :
-Si je vous dis qu'au 31 juillet, dans l'atelier se trouvera toute la production prévue pour aout, palettisée, prête à charger, allez-vous faire en sorte que je soie approvisionné en avance pour arriver à cela?
Cette conversation avait lieu devant sa nénette qui aimait bien les vacances, c'était elle qui avait en charge les approvisionnements. Elle vint à mon secours affirmant à son tour que vu la rotation des commandes, c'était tout à fait possible. Contre attaque du vieux.
-Oui mais il faut la finance...
La comptable que j'avais mise dans le coup prit le relais,
-Pas de souci, je peux même obtenir de tel et tel client une livraison anticipée, avec le règlement avancé,  avoir les marchandises prêtes pour leur redémarrage présente pour eux également un avantage sur leur avancement, donc leur planning financier. En gros ça fait boule de neige.
D'argument en arguments le vieux céda, au fond il avait confiance en mes approches d'organisation.
Fort de cette victoire, le soir je fis stopper l'atelier 10 minutes plus tôt pour rassembler le personnel et leur exposer le challenge, mis à part quelques bougonnements des deux cégétistes, le principe fut admis : on bosse, et on part en vacances cet été. Sur ce le patron qui ne voulait pas rester pour compte dans l'affaire pointe son nez, et appuie mon annonce. Au fond, ce fut bien joué, il montrait ainsi qu'il me soutenait.
Lorsque arriva le mois de juillet, j'avais déjà organisé une partie de l’entrepôt pour les stockages de palettes en attente de livraison. Cette partie se remplissait, des commandes partirent en avance, ça faisait de la place. Fin juillet, trois semi de dessus de bureaux attendaient, et un autre de placard cabine de bateau en partance pour les Chantiers le l'Atlantique. Discrètement le vieux inspectait ces préparations de commande en silence, et sans commentaire. Maria notre petite secrétaire préparait les bons de livraison, tout était en place, étiqueté. Or certaines marchandises devaient quand même être expédiées pendant le mois d'aout. Deux ouvriers qui ne partaient pas, se portèrent volontaires pour venir charger à des dates déterminées, et moi-même m'engageai à venir voir si tout était en ordre, charger si nécessaire. Pour la première fois le personnel put prendre ses vacances sans être rappelés, je commençais à être chez moi, tout allait bien, trop bien, il fallait que le patron fasse une nouvelle connerie ...

Anecdote avec le personnel
Le fleuriste de Maria
Nous avions une petite secrétaire, menue, fragile, traversant fréquemment l'atelier,  personne n'osait le moindre geste ou propos déplacé, tant elle sentait la fragilité, ce qui n'est pas peu dire au milieu de 30 gars dans les ateliers. Cette fille avait été embauchée par Pierre Perlouze, en contrat formation, puis elle est restée. Elle avait appris la dactylographie, connaissait un peu toutes les ficelles du bureau, secondait la secrétaire principale et la comptable. En outre elle avait en charge les préparations de livraisons, bons de livraison avec les différentes palettisations qu'elle réglait à merveille avec les gars de l'atelier. Plus tard, sur la nouvelle usine, c'est elle qui filtrait les appels, et me préparait les demandes de prix qui nous parvenait, toute mignonne, marrante,  par exemple  lorsqu'elle m'entendait au travers de la cloison gueuler au téléphone ou après quelqu'un, je la voyais arriver quelques minutes plus tard, une tasse de café à la main, "Tenez Monsieur Rabolliot, j'ai entendu que vous en aviez besoin". Que dire sinon en rire. Maria avait un copain, c'était une fille sérieuse, respectée de tous, mais elle avait un "prétendant", qui depuis deux ou trois ans ne la lâchait pas, si aujourd'hui on nous agace à coups de harcèlement en toutes occasions, pour elle c'était bien le cas, un vrai harcèlement, un harcèlement avec des fleurs! Celui-ci lui faisait porter des fleurs pratiquement une fois par semaine par InterFlorettera qui déboulait dans les bureaux, parfois, c'est lui qui l'attendait à la sortie du bureau avec des fleurs, se faisant patiemment éconduire par Maria. Ce gars avait au moins 45 balais, Maria, 22 ou 23 ans, ça donne une idée de la situation. Du patron qui observait de sa fenêtre au personnel de l'atelier, nous nous  amusions de cette situation que Maria devait très mal vivre. Un jour un des chef d'équipe vint me voir, me disant, c'est pas une vie pour Maria, il faut qu'on fasse quelque chose...
-Tu veux faire quoi?
-Lui passer l'envie d'emmerder Maria
-T'as une idée comment faire
-Facile, comme parfois il entre en voiture dans la cour de l'usine, on n'est plus sur la voie publique, on le chope à deux ou trois, et on le recharge dans son coffre avec ses fleurs sous les applaudissement de toute l'usine.
Ainsi fut fait quelques jours plus tard, un soir le zozo arrive et se gare dans un parking de la cour, attendant la sortie de Maria pour venir au devant d'elle avec des fleurs comme c'était son habitude. Sous les yeux de tout le personnel, dont le patron, en deux minutes la voiture fut entourée de 7 ou 8 gars, le zozo fut extrait de derrière son volant, le coffre de la Renault 9 fut ouvert, puis il fut basculé à l'intérieur du coffre, les 4 fers en l'air, ensuite l'un d'eux égrena la gerbe de fleur sur lui avant de refermer le coffre. Pour finir, comme la journée était finie, tout le monde quitta l'usine, je restai au bureau à savourer l'affaire avec les filles et le patron et en attendant de voir la suite, le gars s'agitait dans son coffre, au moins un quart d'heure plus tard, le patron dit "Je vais aller le libérer, et le secouer encore un peu !"
On assista à  sa libération et à une reconduite derrière le volant manu-militari par le patron, qui malgré son âge n'était pas pourri pour autant.
Maria ne fut plus jamais inquiétée par cet individu, elle nous l'a confirmé plusieurs années plus tard, c'est vrai, on bossait, mais on s'amusait bien aussi...

L'accident de Labrosse, un accident  qui nous avait tous choqué.
Il s'appelait effectivement Labrosse, et ce fut la brosse qui lui causa cet accident (sa brosse).
La chaine de collage à chaud était équipée à son entrée d'une double encolleuse, pour les deux faces des panneaux, dessus et dessous, ensuite les feuilles de stratifié en places étaient pressées à 70° pendant une minute. Généralement c'était de la colle vinylique, quelquefois c'était de l'hydrofuge pour les collages destinés en milieu humide, et aussi en colle bi-composants urée-formol pour des collages de la classe M1. Il fallait régulièrement nettoyer les rouleaux d'encollage, au minimum le soir pour l'arrêt, sinon à chaque changement de colle.  Les panneau passaient entre quatre rouleaux un strié dessus+ un lisse, pesant pas moins de deux cent kilos chacun, même principe en dessous, un strié et un lisse. On obtenait le grammage de colle en serrant le rouleau lisse contre le rouleau strié, comprimant ainsi les striures. Les panneaux passaient entre les  deux jeux d'encollage dessus et dessous, également réglés pour comprimer le panneau et le faire défiler. L'accident survint le soir au moment du nettoyage. Dans un premier temps, en écartant les rouleaux, on faisait tomber la colle, puis on refermait pour remplir d'eau et nettoyer brosser les striures pour retirer toute la colle, et en arrosant abondamment. Ce travail était quotidien, habituel, peut-être trop habituel.
Un soir, j'étais dans mon bureau, j'entends un hurlement vraiment inhumain, une bête qu'on égorgeait n'aurait pas hurlé plus fort. Je me précipitai dans l'atelier, déjà des gars couraient en direction de la presse. Le courant avait été coupé, et deux personnes tournaient à tout va les manivelles pour desserrer les rouleaux de l'encolleuse pour en extirper le bras de Labrosse juste au moment où j'arrivais. Son bras était aplati, mesurait pas plus de deux centimètre d'épaisseur de la main à l'épaule, plusieurs gars se mirent à vomir... Puis Labrosse se tut, on l'avait assis sur la première palette venue, les femmes du bureau avaient déjà appelé pompiers et Samu. Il fut pris en charge rapidement, premier constat: rien de cassé; seulement muscles écrasés vidés de leur sang, le sang refoulé vers corps. Les rouleaux qui l'avaient happé avaient calé à l'épaule, l'épaule non démise.  Contrairement à toute attente, huit jours plus tard il nous rendit visite, expliquant qu'il avait servi de cobaye car ce type d'accident était inconnu, que la douleur était calmée, il bougeait son bras, affaire à suivre.
Que s'était-il passé ? Il nous le dit clairement : j'ai échappé ma brosse, et j'ai voulu la rattraper, ma main a été prise et en moins d'une seconde je me suis retrouvé l'épaule en butée aux rouleaux.
Sitôt après l'accident arrivèrent les gendarmes, peut-être même avant les pompiers si ma mémoire est bonne, ils inspectèrent la machine, constatèrent que les câbles de sécurité étaient en place, les boutons et câbles  d'arrêt d'urgence aussi, et que tous fonctionnaient. Je fus convoqué le lendemain pour signer ma déposition, le patron également. Comme d'hab. un abruti de la sécu qui ne savait pas ce qu'est une encolleuse ni comment ça marchait, est descendu de Dijon pour nous faire perdre notre temps. Néanmoins en absence de faute d’équipement nous ne risquions pas de poursuites, Labrosse reconnut être monté sur l'encolleuse pour aller plus vite. Bref, juridiquement nous n'en n'avons jamais entendu parler. Après 6 mois d'arrêt Labrosse reprit son poste, mais cette fois, il mit un manche au bout de sa brosse, ce qui lui valut d'être charrié par ses collègue qui lui disaient "au moins cette fois la brosse est bien emmanché(e)"

La coupure des câbles d’alimentation par l'élévateur
Nous avions un gros chariot élévateur, charge utile 10 tonnes, électrique, avec des fourches de plus de 2m de long pour la prise des panneaux, en deux levages il déchargeait une semie remorque.
Or un jour, coup de canon dans l'atelier, l'éclair qui va avec, on aurait cru qu'un obus avait pété dans l'atelier, la moitié des gars se jettent au sol, je me dirige vers le fond de l'atelier qui se retrouvait dans le noir. Lulu vint à moi en riant  "Bon dieu ! J'ai jamais vu XXX courir aussi vite," impossible de m'en dire plus tellement il riait; Je me dis  qu'il n'y avait rien de grave. Effectivement rien de grave, mais ça aurait pu....  Lulu, se servant du gros chariot élévateur, avec ses fourches longues, manipulait des panneaux d'1.20m de large, pour les gerber tout en haut d'une pile lorsque l'incident survint. Un câble électrique triphasé, qui faisait pas moins de 6 ou 7 cm de diamètre, blindé, montait au long du mur pour alimenter l'étage. En avançant le plus possible au mur, une des fourches dépassante sectionna net le câble, avec un bruit de canon, et un éclair énorme dans l'atelier. XXX qui se trouvait juste à côté avait pris ses jambes à son cou, Lulu me dit "si la porte avait été ouverte, on ne l'aurait pas revu". Bien évidemment nous étions morts de rire. Mais à bien y réfléchir, si Lulu était en sécurité par les roues de l'élévateur, imaginons que XXX se soit trouvé avec une main en contact avec le chariot élévateur, circulait trois 250 ampères en 380 volts dans le cable, ou peut-être plus.... Cette fois nous étions bons pour faire la une. La fourche qui avait sectionné le câble mesurait pas moins de 5cm d'épaisseur sur 25 cm de largeur, elle fut fondue, raccourcie de 15 centimètres.

L'achat de la scie circulaire en Allemagne
Cette histoire n'est jamais sortie du bureau, pour pierre Perlouze et moi, il n'y avait pas de quoi être fiers. Nous avions de soucis de scie circulaire, notre vieille Mazza perdait de la précision, elle avait fait son temps, il fallait la changer. Notre choix se porta sur une scie double moteur, qui sciait en long et en large, avec tables élévatrices.
Un jour, Pierre Perlouze vint à moi et me dit j'ai trouvé une Holzma d'occasion, trois ans, mais en Allemagne, il faut qu'on aille la voir. OK pour moi, il prit RV, avec le vendeur. On partit un matin, la BM roues fumantes comme à son habitude, 170 ou 180 sur autoroute, lisant les cartes au volant, le volant maintenu avec son genoux, ainsi conduisait le patron. Arrivé au RV à Bâle on vit cette machine, on la vit tourner, débiter, tout allait bien, ça nous convenait, trois ans, c'était bien ces machines sont sans soucis sur 15 ans. Puis vint la discussion du prix, pas  cher du tout selon Pierre Perlouze, de mon côté je n'intervins pas, ce n'était pas moi qui payais, mais la somme me semblait plus que  correcte, même douteuse au vu du prix neuf. Je fis ouvrir les capots pour inspecter la machine, les chemins de roulement, coulisse, usure, chemins de câble, etc. RAS.  On se mit d'accord, on obtint qu'ils prennent en charge le chargement et le transport, ce fut la seule concession de leur part. Les allemands nous dirent "on vous fait suivre le contrat de vente, avec les taux de TVA, et le dédouanement, vous l'aurez au courrier d'ici quelques jours." Après une nuit d'hôtel et un petit dej. façon teuton, nous rentrâmes en nos locaux tranquillement et heureux de l'affaire .
Dans la semaine suivant, Pierre Perlouze entre dans mon bureau avec sa gueule des mauvais jours pour me dire : " Que je soie con OK, mais qu'on soit aussi cons l'un que l'autre là ça va plus !"
Je me demandais bien quelle mouche l'avait piqué. Devant la tête que je devais faire, il me glisse sous le nez l'offre des allemands, je parcours les chiffres, ça collait pourtant,
-Où est le souci ...
-Vous voyez pas ?
-C'est ce qu'on a prévu comme prix de rachat
-Oui, mais avec nos baragouinage français /allemand, quand on parlait en francs, eux parlaient en mark, regardez bien le document, c'est en mark ! A l'époque ça se  jouait à 3.5
Oh la tuile, grosse comme une maison, on ne savait pas si nous devions rire de notre connerie ou quoi. Toujours est-il que le vieux  a décliné l'offre arguant qu'il avait trouvé plus intéressant en France.
Peu de temps après nous avons acheté une scie identique en région de Clermont Ferrant, une région où au moins on parle français !

Le thermo fusible
Une autre fois, Pierre Perlouze, de retour d'un salon à Hanovre entra tout joyeux dans mon bureau avec un carton rempli d'échantillons d'assemblages de panneaux stratifié, sous divers angles, réalisés avec des injection sous stratifié de résine thermo-durcissable, fabriqué à la chaine par une grosse entreprise allemande. II me dit : Monsieur Rabolliot, le jour où vous me fabriquez ça on sera les rois du pétrole !
J’observe les échantillons la résine thermo-durcissable n'est envisageable qu'industriellement, donc impossible pour nous, mais pourquoi pas l'inverse ? Des résines thermo-fusibles ? Je gardai cette pensée pour moi. Puis, en parlant avec Sylvain, un cerf d'équipe qui cernait bien le pliage à chaud, je lui montrai les échantillons :
-Crois-tu qu'avec la thermo-fusible on puisse faire la même chose
-????  Peut-être
-Écoute, je calcule les développés, et on essaie avec un pistolet à colle manuel sur un échantillon de 5 cm de long, après on avisera.
Ainsi fut fait, je déterminai le développement, calculai les jeux pour le passage de la thermofusible, je  remis le tout à Sylvain qui prépara les morceaux de panneaux, puis m'appela quand ce fut prêt, ensemble on injecta à 180°, température de pliage du starifié, puis on plia à la main, au pif, avec pour seul repère une équerre, puis on fit la même chose à 45 ° puis à 135°. Mis à part un certain resserrement au refroidissement entraînant une diminution de l'angle de quelques degrés, tout était bon. Il suffisait simplement de calculer, d'anticiper cette rétraction. Un coup de ponceuse en bout des échantillons, puis tout fier, on se dirigea vers le bureau du patron pour déposer les échantillons sur son bureau.
Il regarda étonné, me fixa, fixa Sylvain, puiss dit,
-comment avez vous fait ?
-Secret professionnel ! m'écriais-je !
-Si vous croyez que j'ai le temps de jouer aux devinettes.....
On lui explique, direct il nous dit,
-OK mais sur des bandes 4m, comment on fait ?
-J'ai ma petite idée, je vous en reparle, il faut que je passe des coups de téléphone.
-OK, ça roule, mais votre idée est bonne.
J'avais rencontré dans un salon un spécialiste des colles thermofusible, et des polyamides, il travaillait dans une filiale d'un de nos fournisseurs en colle. Je le contactai, lui expliquai le problème, il s'y intéressa, on convint d'un RV au cours duquel il pourrait nous présenter une machine apte à injecter sur des grandes longueurs. La machine ne pesant que 250 kilos, il proposa d'en amener une avec une camionnette.
En attendant sa venue, je fis préparer des échantillons de plans de toilette d'un mètre de long pour faire les tests. Tests concluants, d'emblée le patron nous cassa la baraque
-"Mais comment on fait pour des plans de 4m ?"
Ma réponse,
-Avançons pas à pas, à mon avis il faut fabriquer un banc de pliage avec les formes, je vois ça avec  Patrick, le connaissant il aura bien une idée.
En effet, la fabrication du banc d'injection fut dessinée en temps record, nous avions convenu d'injecter tous les 30 cm, soit injecter un plan de 4mètres en une minute, deux minutes de refroidissement, on pourrait passer au suivant. Tout ça était théorique, mais on décida de fabriquer ce banc, pour la machine d'injection, nous la savions disponible en peu de temps.
Ainsi fut fait, le banc fabriqué, une dizaine de plans de 4m préparés sur la chaine, restait plus que la machine pour injecter. On convint avec le vendeur du jour des essais. Il revint avec la machine, en une heure maxi, les 40mètres de plan de toilettes furent pliés, Il suffisait de les tronçonner pour plaquer les extrémités, ils étaient bon pour la livraison. On perfectionna encore le système, on se rôda à la technique.
Arriva le salon BATIMAT à porte de Versailles à Paris, le patron y avait retenu un stand, et bien évidemment nous avions préparé des plans et échantillons de cette méthode, copiée sur les allemands, seule différences, la résine thermofusible au lieu de thermodurcissable, et le système d'assemblage.
Cerise sur le gâteau, le prix de l'innovation technique nous fut attribué pour ce produit,  le patron  n'était pas peu fier de m'annoncer ça le lundi matin. Et moi de lui rétorquer : "Maintenant vous savez qu'il ne faut pas me lancer des challenges", réponse, "et vous croyez que je vais m'en priver ?"
Quelques années plus tard, lors de la fermeture définitive de l'usine, le prix pour cette innovation me fut remis par Mr Perlouze, en reconnaissance pour cette innovation. (ça me fait une belle jambe !)

Revenons à 1993
Pierre Perlouze, le patron, avait 67ans,  on pouvait comprendre son envie de se retirer, partiellement dans un premier temps, du moins. Il m'annonça avoir engagé un directeur commercial pour le remplacer dans la partie commerciale. Ainsi arriva Joel Moulin à Vent, un ex client qui n'avait brillé que par son dépôt de bilan. Très rapidement nous fûmes en désaccord, celui-ci voulant faire rentrer des commandes plus nombreuses mais plus petites et plus variées, elles étaient certainement plus facile à trouver que les commandes lourdes obtenues auprès des industriels. Nos machines, étaient des machines lourdes, de production en série avec des temps de réglages longs, des temps de réglage, à mon avis non absorbables  dans les petites commandes. Il nous fallait de la série, point barre. C'était le principe qui avait réussi à Pierre Perlouze, il y avait un non sens si on réfléchissait au pourcentage des temps de réglages de machines par rapport aux réels temps d'usinage. S'en suivit un conflit larvé, Joel Moulin à Vent disant d'une part à mon patron que c'était moi qui était mal organisé, mon patron savait très bien que nos machines n'étaient pas adaptées à ses projets, il confirmait ma position, mais il avait envie de se retirer, sa nénette envie de se faire bronzer le luc, secrètement il devait penser que je trouverais bien des solutions. Erreur, décrocher la lune, personne n'y est parvenu, effectivement nous aurions pu évoluer dans la diversité en changeant la moitié des machines, une option que financièrement on ne pouvait pas se permettre. Le conflit était bien engagé, au point qu'une affiche ornait la porte de mon bureau : CAVECANEM (en latin "attention au chien", qui ornait les porte de Rome dans l'antiquité), ça faisait marrer le patron lorsqu'il la voyait et rendait fou Joel Moulin à Vent .
Un  jour, que vois-je ? Un type en costard, sacoche débouler dans l'atelier, regarder tous azimuts, je m'approche, il se présente : Mr Trublion, je voudrais voir Monsieur Joel Moulin à Vent. Je le conduis au bureau. Trois jours plus tard j'apprends que ce gars avait été embauché pour faire un audit sur la production. Quelle belle marque de confiance ! Je compris de suite que le coup venait de Joel Moulin à Vent. Après tout, s'ils ont du pognon à perdre, pourquoi pas, moi, je me savais dans les clous.
Je jouai le jeu, et le présentai comme auditeur à l'ensemble de l'atelier, étonnement de tous, plusieurs gars me demandèrent en catimini, "qu'est-ce qui ne va pas ?" Moi de répondre qu'ils avaient du pognon à foutre en l'air.
Puis  ce gars  me parut correct avec tout le monde, il faisait ses chronométrages, ses recoupements, tout semblait normal à mes yeux, je savais faire, moi aussi, je savais ce qu'il faisait, il le faisait bien, tout était de savoir quelle serait l'analyse finale des mesures relevées... Je me tenais quand même très distant, parfois, je l'houspillais quand il me collait un peu trop aux basques. Puis arriva le jour où il dut rende son audit,  une bonne demie journée fut nécessaire, passée au bureau entre Pierre Perlouze et Joel Moulin à Vent, parfois des éclats de voix du vieux parvenaient jusqu'à à mon bureau, je me doutais que ce n'était pas du gout de Pierre Perlouze. Un peu avant midi Trublion vint le voir, et me dit
-Mr. Rabolliot car il me donnait du Monsieur, moi de même, il faut qu'on se voie.
-Si c'est pour me sortir les théorie de Joel Moulin à Vent c'est pas la peine !
-Oh non, pas du tout, au contraire l'audit que je viens de rendre vous donne co mplètement raison sur la gestion de l'atelier, l'optique Joel Moulin à Vent est complètement utopique. Ce serait bien qu'on en discute ensemble, je vous invite à manger ce midi. Étant à cent lieues de m'attendre à ça, j'en tombai sur le luc.
-Pourquoi pas, on pourra au moins faire vraiment connaissance hors contexte.
Nous voici partis au restau,  notre départ ensemble n'a certainement pas du plaire à Joel Moulin à Vent qui devait sentir venir une emm. supplémentaire de ma part. Trublion avait du se frictionner sérieux avec Joel Moulin à Vent.
Sitôt assis Trublion  me dit : " d'une part, se tutoie et d'autre part, on s'appelle par nos prénoms, aux vaches les Monsieur, et tant pis pour ceux à qui ça ne plairait pas." Décidément ce gars commençait à me plaire.
Allègrement nous sommes sortis de table vers 15 heures, nous avions bien détaillé point par point  son audit, analyse  que je reconnus juste, honnête et sincère, pourtant une embauche pour lui aurait pu suivre. Cet audit n'était pas du goût de Joel Moulin à Vent qui pensait tenir une arme pour me dégommer. Trublion pensait comme moi que ses jours étaient comptés dans la société et que pour le remercier Joel Moulin à Vent allait le virer ...
Notre retour à 15 heures ne passa pas inaperçu, et de personne, ça puait l'alliance entre nous, on se priva pas de propos "débridés" qui ne passèrent pas non plus inaperçus, alors qu'en réalité nous n'avions rien spéculé dans ce sens. J'aperçus le patron peu de temps après qui se contenta de m'adresser un sourire amusé qui en disait long, je compris qu'il m'avait bel et bien défendu face à ce connard de Joel Moulin à Vent, et qu'au fond le rapprochement entre Trublion et moi n'était pas pour lui déplaire. Cela se résumait en quelques mots : j'avais eu des résultats dans l'atelier, depuis que Joel Moulin à Vent était là, c'était le bordel, seul un idiot ne serait pas arrivé à cette conclusion.
Joel Moulin à Vent ne s'arrêta pas là, il décida de mettre lui-même le nez sur les machines, allant donner des contre ordres dans mon dos, souvent refusés par les gars, s'en suivit une méchante prise de gueule, qui dura deux jours. Puis ce con réussit à convaincre le patron de me virer en raison d'une "entente impossible", que Trublion mon collègue "auditeur" ferait très bien l'affaire, et qu'il n'y aurait plus de zizanie. (A mon avis il se trompait sur Trublion, qui était certainement aussi difficile à couillonner que moi, c'était l'ancien chef d'atelier d'Eriba le constructeur de caravanes pliantes et qui en avait vu d'autres).
La comptable me prévint qu'une convocation à un entretient préalable était dans le tuyau. Je n'allai pas retirer le recommandé. S'en suivit une nouvelle convocation, cette fois remise en main propre, je n'y échappais donc pas. Cette convocation avait été fixée après les horaires de travail. Je refusai d'abord de m'y rendre hors horaire de travail, au prétexte que je n'étais tenu qu'à mes horaires. Puis ras le bol, voulant en finir, je finis par accepter.
J'étais convoqué à 18 heures, heure de fermeture de la boîte.
Je pénètre dans le bureau du patron, celui-ci avait la tronche des mauvais jours, il me fit assoir, par la fenêtre j'apercevais dans la cour, la comptable, les deux secrétaires, et aussi quelques autres de l'atelier qui attendaient dehors la suite des événements, connaissant nos deux caractères, peut-être même prévoyaient-ils un pugilat. Le vieux restait silencieux, stratégie ou pas, de mon côté j'attendais patiemment l'ouverture du bal. Puis, au bout d'un moment il me dit :
-Je n'aurais jamais pensé que nous en arriverions là un jour.
-Moi non plus, mais il faut comprendre qu'en faisant confiance à un imbécile vous êtes entièrement responsable de la situation !
Je crois que je l'avais piqué où il fallait, où il avait déjà mal. C'est jamais bon de dire à quelqu'un qu'il s'est trompé, même si c'est évident.
-Hé oui..... Et maintenant c'est moi qui suis dans la  merde, je perds un responsable de production qui a fait ses preuves, j'ai un directeur en qui je n'ai plus confiance, et, je vous l'apprends, je viens d'acheter une usine plus grande pour transférer celle-ci où on est trop à l'étroit. Cerise sur le gâteau je n'ai personne apte organiser le transférer cette usine avec un minimum d'interruption.
Vu le départ franc de cette conversation, une fois de plus je décidai de donner dans le positif, avec lui le franc jeu était toujours payant. Sortant du sujet licenciement, je lui dis aussitôt
-Vous voulez déplacer l'usine quand ?
-Dans un mois si on pouvait commencer à s'organiser dès maintenant.
-Merci de m'en parler que maintenant !
-Excusez-moi, mais vu la tension actuelle, l'approche était difficile, et je sais très bien que vous êtes la seule personne apte à piloter cette conversion, pour deux raison, d'une vous connaissez la production, et deuxième, vous connaissez toutes les machines, celles qui sont fiables comme celles qui ne le sont pas.
-Je ne sais pas si c'est possible, mais ce que je sais, c'est que votre trésorerie va en prendre un sérieux coup, cette période va être compliquée.
-Oui, effectivement, c'est tout le problème, nous avons des machines en double, on pourrait dédoubler et commencer à faire certaines opérations d'un côté, pour les terminer sur l'autre usine , il n'y a que 15 kms entre les deux sites, notre camion ferait les navettes. Il y aura un surcout, un ralentissement mais pas d'arrêt total.
-C'est jouable lui répondis-je, sentant qu'au fond il arrivait où il voulait en venir, biaiser pour me conserver.
-Oui mais je n'ai plus personne sur qui compter pour mener de telles  opérations, ça représente quand même plus de 100 tonnes de machines, soit 5 ou six semi remorques  à charger, entre 5 et 12 tonnes chaque machine, il faut des engins de levage sur les deux sites, les raccorder EDF, air comprimé, raccorder aux convertisseurs, etc, tout caler, régler, cela sans arrêter la production. Il faut déjà avant toute chose calculer l'implantation des machines pour raccorder la chaîne, d'abord en faire les plans.
Silence entre nous, je la sentais venir, il savait Joel Moulin à Vent incapable de s'occuper de ça, techniquement, totalement incompétent. En parfait commercial, c'était un moulin à vent, quant à mon collègue Trublion, il était un peu jeune en mécanique, côté confiance du personnel, ce n'était pas ça, il apparaissait à leurs yeux comme l'instrument de ma démolition. Au bout d'un moment, le vieux reprend la parole.
-Si je vous engage pour effectuer le transfert de l'usine, seriez-vous partant ?
-EUHHHH oui, à la seule condition de conserver le poste de responsable de production dans la nouvelle usine.
-Je ne vois pas comment je pourrais faire autrement, ce sera forcément vous qui allez tout redémarrer.... On règle ça dans le détail demain.
Voici le nouveau site, Perlouze me sortit les plans des locaux, à vous de voir comment on peut implanter les deux chaines:
 Une nouvelle porte s'ouvrait sur moi, lui tout content  d'avoir la personne pour ce déménagement et la relance sur le nouveau site, moi de conserver le boulot.
Il me reconduisit dehors, où on discuta encore, puis on se serra chaleureusement la main devant les cinq ou six personnes qui s'attendant à un pugilat et qui n'en croyaient pas leurs yeux. Pierre Perlouze et moi passèrent une bonne partie des deux journées suivantes à préparer la nouvelle implantation, pendant Trublion bien amusé, me relayait dans l'atelier, Joel Moulin à Vent restait enfermé dans son bureau, pendant les filles se marraient de la situation.
Cette orientation n'était pas pour plaire à Joel Moulin à Vent, j'étais officiellement investi dans de nouvelles fonction sur le nouveau site, où il était prié de ne pas mettre les pieds. Trublion prenait ma place à l'ancienne usine, nous coordonnions les travaux des deux côtés, une entente parfaite et tout marcha pour le mieux, Joel Moulin à Vent se contentant de faire joujou avec ses clients à deux balles. Grande question qui reste posée : Pourquoi Pierre Perlouze ne l'a -t-il pas viré à ce moment là ?  Le virer au moment où ce guignol était dans l'impasse, quelle opportunité. Grande erreur stratégique de Perlouze de ne pas l'avoir saisie. Quel cadavre y avait-il entre eux deux ?
Une fois l'opération de transfert terminée, je pensais que Trublion allait me rejoindre pour prendre la direction de l'atelier, et moi conserver la responsabilité de la production au sens large, depuis les études de nouveaux produits, les approvisionnements, la planification générale, comme cela avait été évoqué.
Que nenni, Joel Moulin à Vent vira Trublion, sorte de vengeance pour ne pas m'avoir cassé les reins, puis il nous trouva un chef d'atelier,  tombé du ciel, Drucon, qui comme par hasard était une vieille connaissance de Joel Moulin à Vent, ex chef d'atelier d'une usine à La Cavalerie (12), qui venait de déposer le bilan. Ce gars là arriva façon jeune cadre dynamique, de suite je fus sur la défensive, pour moi c'était un beau parleur, rapidement on constata sa bigamie. Une femme avec un gosse à La Cavalerie, et une autre installée à Glandvert avec qui il passait plus de temps au téléphone qu'avec les gars. Il nous l'avait présentée comme sa femme, alors qu'elle n'était que l'illégitime? Comme quoi chez lui la tête n'était pas forte du tout puisque c'était la petite tête qui commandait. Une évidence : Menteur du premier jour, menteur toujours.
Il consommait du café toute la journée, carburait du Guronzan à tout moment. Le matin, comme tout chef d'atelier, il aurait du faire le tour des différents postes, dire bonjour au personnel, l'occasion de faire le point en passant, régler des petits soucis, être informé des entretiens et pannes à prévoir, quelques minutes récupérées dix fois lorsque l'organisation se fait ainsi. Au lieu de ça, et en grande marque de confiance pour le personnel, il fit acheter une POINTEUSE !  Puis il se contenta d'attendre que les gars se manifestent à son bureau. Joel Moulin à Vent trouvait ça bien, de mon côté, je reprenais les clients un par un, relançais certains, présentais de nouveaux produits, en trois mois, le carnet de commande fut plein, mais, malheureusement, l'atelier ne suivait pas, survenaient des arrêts interminables, des pannes, des opérateurs machine compétents virés, remplacés par des gens non formés sur ces machines. En gros un bordel total. Et moi de dire allègrement en réunion de direction  "Les gars travaillent comme ils sont commandés, moi je n'ai jamais eu de souci avec eux, cherchez l'intrus". Personne ne bronchai devant de telles déclarations, vraies, et fondées.
La comptable venait souvent me voir , me disant :
-"On va dans le mur"
Moi de lui répondre,
-Je le vois bien, mais je ne peux rien contre ces deux cons là, j'apporte des commande, et ils ne sont pas foutus de les fabriquer en temps et heures, et je ne vous parle pas des malfaçons... Il faudrait que le vieux ressorte de chez lui, mais il ne le fit point, arrivant à 70 ans il en avait marre.
Fatalement arriva un dépôt de bilan avec le lancement d'une nouvelle société : PLI
Le capital fut constitué par nos primes de licenciement, ça nous permit de redémarrer, d'assumer des commandes prévues pour la société Satnom disparue.
La distribution des postes resta la même, sauf qu' "intelligemment' Joel Moulin à Vent voulut faire des économies sur les salaires, il prit la grille des salaires, tira un trait horizontal, et à mon grand désarroi, il décida de virer le personnel au dessus de cette ligne, décapitant le personnel de tous les plus payés certes, mais des plus compétents. En gros il se tirait, non pas une balle dans le pied, mais un chargeur complet !
Et voici revenue la bagarre, Drucon, le jeune chef d'atelier, complètement incapable devenait intraitable avec le personnel, ignorant totalement que pour commander il faut commencer par expliquer les choses, mais encore faut-il connaître soi-même le boulot pour pouvoir l'expliquer, et c'est bien là qu'était le problème, il n'était pas à hauteur, le savait, d'où son absence dans l'atelier. Ce gars là aurait du être viré au bout de 15 jours, pour rappeler Trublion par exemple. Le dépôt de bilan ne serait pas survenu.
Pendant cette période, le personnel venait en douce à mon bureau pour me signaler les erreurs de l'atelier et demander conseil ou mon intervention, Drucon le savait, le voyait, ça le rendait fou. Pire, fréquemment, je sortais de mon bureau pour faire des inspections dans l'atelier, des machines, allant conseiller les gars,  voire les aider dans des réglages, tout ça était observé par un Drucon confiné dans sa bulle en verre, sans même prendre le soin d'en sortir. Au dessus de lui, Joel Moulin à Vent, toujours brassant le vent, ne voulait pas reconnaître qu'il avait choisi un mauvais cheval,  c'était bien là le problème : Un con intelligent arrive à changer d'avis, alors qu'un vrai con n'en change jamais au risque de couler une boîte, noyée dans sa propre connerie. Joel Moulin à Vent, comme Drucon, appartenaient à cette catégorie d'individus, celle des vrais cons, pas d'autre qualificatif possible. Je montai une fois de plus en ligne, je  dis les 4 vérités à Joel Moulin à Vent, et à Drucon, affirmant leur incapacité à toute forme de commandement et d'organisation. A la stupéfaction du personnel Il fut donc décidé de mon licenciement, la société implosait.
Mon ancien patron de Stanom, Pierre Perlouze, alerté, vint me voir dès qu'il me sut en disgrâce, pour me dire, Monsieur Rabolliot, venez me voir chez moi. Vu qu'il avait laissé ces cons là prendre racine sans bouger, pour moi le train était parti, plus question de ré-embarquer, je ne donnai pas suite à son invitation,  aujourd'hui encore,  je me demande si ce ne fut pas une erreur de ma part. Avec mes parts, celles de la comptable, celles de Titine, et celles de Perlouze, nous étions majoritaire, et nous aurions pu éjecter Joel Moulin à Vent. Mais j'avoue je m'étais trop battu pour cette boîte qui me tenait aux tripes, j'en avais marre, je voulais me casser, je ne donnai pas suite. J'imaginais que Pierre Perlouze, m'aurait placé directeur, un poste pour lequel je ne me sentais pas à hauteur, techniquement très certainement compétent, mais commercialement, non. S'il était resté avec moi, j'aurais accepté, or ce n'était pas son intention, lui aussi en avait marre, il m'aurait tôt ou tard collé un autre guignol dans les pattes. Peut-être, aurait-il pu y placer sa nénette, elle avait de la poigne, lui derrière à distance pour l'épauler, mais était-elle vraiment de taille pour discuter avec des directeurs d'usine rôdés au négoce et aux affaires ? Même avec Pierre Perlouze derrière elle je n'avais pas plus de garantie de pérennité.
Le bilan déposé, dans un premier temps, avec la comptable, on fit valoir pour tout le personnel le droit à la récupération de nos actions qui au centime près étaient issues de nos précédentes indemnités de licenciement de Satnom, donc assimilables à des éléments de salaire. Le tribunal de commerce de Bourges en convint et nous retouchâmes nos précédentes indemnités de licenciement de Satnom.
Ainsi je me retrouvai sur le marché de l'emploi, la société PLI en liquidation. Une idée me vint, trouver un repreneur, pourquoi pas, faire avec de nouvelles personnes, et j'avais bien en main le carnet de commandes.
Je récupérai en douce tous les dossiers clients de la société, puis je me mis en rapport avec une association, le Cercle des Investisseurs de Dijon, et lançai une annonce, avec les éléments comptables et chiffres commerciaux à l'appui.
A peu près un mois plus tard j'eus un contact avec une société du Doubs intéressée par nos fabrication, notre savoir, et la clientèle. Après plusieurs échanges, ils se mirent en rapport avec le syndics de Bourges, pour apprendre que la société était vendue quelques jours auparavant à des gens sans expérience en la spécificité du postformage, une activité qu'ils firent péricliter pour fermer définitivement les portes de cette usine.
Nouveau loupé pour moi,  je repris mon bâton de pélerin, je m'inscrivis à l'APEC, ce qui ne m'amena rien de bon mis à part quelques contacts à la con.

Les travaux dans la maison de Kiki à Crucivillage
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Pendant toute cette période allant de 1991 à 1997, vivant à Crucivillage, j'ai effectué un certain nombre de travaux dans la maison, une maison qui n'avait pas vraiment évolué depuis sa construction, l'ex mari de Kiki n'ayant strictement rien fait. Lorsque je suis apparu dans le paysage, Kiki se débrouillait comme elle pouvait avec les entretien de pelouse, très en pente, un système de fosse septique qui se bouchait régulièrement, et pour lequel Laurent, le fils de Kiki, à peine ado, fit ses apprentissage de pelleteur.... Je dus mettre à jour tout le système de traitement des eaux usées pour constater que des tuyaux avaient été cassés avec des affaissements car non comblés au sable. Je fis une remise en état totale de ce système, la fosse septique et le plateau bactérien fonctionnent très bien en autonome, depuis  1990 sans jamais avoir besoin de vidange, soit 35 ans, alors qu'auparavant il fallait vidanger au maximum tous les deux ans.
Puis j’effectuai le béton du garage en sous-sol, où j'aménageai une pièce cuisine/chambre, plus une douche. Ensuite ce fut la pose des clôtures de l'ensemble du terrain, effectuai un mur de soutènement en façade pour protéger l'éboulement de la voie publique qui n'était maintenue que par un mur en pierre sèches.Je terminai de fermer la propriété par un portail coulissant, que jefabriquai entièrement, le motorisant avec du matériel de transfert récupéré à l'ancienne usine SATNOM.
Le terrain était très en pente, la rampe d'accès à la route n'avait pas moins de 20% de pente, les pluies ravinaient tout, souvent le garage était envahi. Je décidai de la bétonner, il fallut tirer à la règle deux toupies de béton de 7m3, et installer un caniveau de sécurité devant le garage.

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