Chapitre 6 La Corse, Orléans et le retour à Sainte Balise de Castrel
La Corse, Orléans et le retour à Sainte Balise de Castrel
Retour au sommaireLa Corse
Embarqué la veille au
soir à bord du Napoléon, la Corse, les palmiers
d'Ajaccio bien éclairés par la ville, étaient en vue
au petit matin, nous nous sommes préparés à débarquer.
Une fois à terre, je me suis mis en stationnement pour me repérer sur une carte achetée avant le départ. Je partis en repérage de l’entreprise Colon à Mezzavia, je trouvai facilement. Une fois l’entreprise repérée pour le rendez-vous du lendemain, je me mis en quête d’un camping, au mois de juillet, c’était certainement difficile, voyant une publicité pour un camping plus à l’intérieur de l’île, en bordure de la Gravone, je décidai d’y tenter ma chance. Bien accueilli, il y avait de la place, le proprio s’est révélé être un ami de Colon que pour le moment, je connaissais qu’au téléphone. Je montai ma tente, Mélusine prit ses repères dans le camping, le lendemain matin je partis au RV que m’avait fixé Colon. Bien reçu, le poste était engageant, c’était dans mes cordes : études des appels d’offres, suivi des chantiers, et des fabrications. L’entreprise fabriquait la quasi-totalité des menuiseries qu’elle posait. Nous nous mîmes d’accord sur le salaire, dont, Corse oblige, une partie payée en liquide… Bravo pour ma retraite. Mais au fond l’île que je découvrais était de prime abord sympa, j’acceptai. Alors poussant le débat plus loin, Colon me proposa de profiter du mois d’août pour faire un essai, un contact avec les chantiers, les dossiers en cours, les intervenants, puis ensuite, de repasser sur le continent pour régler les affaires que j’avais à clôturer et ramener des affaires personnelles. Cela me convenait très bien, pendant ce temps Melusine pourrait profiter de la Corse avec Nic. L’essai concluant, on convint de mon retour. Colon s’engageait à me loger, me tirant une bonne épine du pied, j’étais enchanté, Mélusine aussi.
Une fois à terre, je me suis mis en stationnement pour me repérer sur une carte achetée avant le départ. Je partis en repérage de l’entreprise Colon à Mezzavia, je trouvai facilement. Une fois l’entreprise repérée pour le rendez-vous du lendemain, je me mis en quête d’un camping, au mois de juillet, c’était certainement difficile, voyant une publicité pour un camping plus à l’intérieur de l’île, en bordure de la Gravone, je décidai d’y tenter ma chance. Bien accueilli, il y avait de la place, le proprio s’est révélé être un ami de Colon que pour le moment, je connaissais qu’au téléphone. Je montai ma tente, Mélusine prit ses repères dans le camping, le lendemain matin je partis au RV que m’avait fixé Colon. Bien reçu, le poste était engageant, c’était dans mes cordes : études des appels d’offres, suivi des chantiers, et des fabrications. L’entreprise fabriquait la quasi-totalité des menuiseries qu’elle posait. Nous nous mîmes d’accord sur le salaire, dont, Corse oblige, une partie payée en liquide… Bravo pour ma retraite. Mais au fond l’île que je découvrais était de prime abord sympa, j’acceptai. Alors poussant le débat plus loin, Colon me proposa de profiter du mois d’août pour faire un essai, un contact avec les chantiers, les dossiers en cours, les intervenants, puis ensuite, de repasser sur le continent pour régler les affaires que j’avais à clôturer et ramener des affaires personnelles. Cela me convenait très bien, pendant ce temps Melusine pourrait profiter de la Corse avec Nic. L’essai concluant, on convint de mon retour. Colon s’engageait à me loger, me tirant une bonne épine du pied, j’étais enchanté, Mélusine aussi.
Après un retour au
Vert Pays des Eaux Vives, le temps de régler certaines
affaires, prendre du matériel et des habits,
Mélusine Nic et moi partîmes pour Ajaccio,
avec la Renault 5 et la remorque chargées à
bloc. L’épouse de Colon me conduit à son appartement
plein centre d’Ajaccio, pas très loin du cours
Napoléon, c’était un appartement entièrement meublé,
c'était l’ancien appartement que Colon occupait avant
qu’il n’emménage près de Porticcio, il était
resté meublé. Souhaitant ne pas trop dépendre de mon
patron, 4 mois plus tard, ayant trouvé un logement,
j’ai rendu mes clés à Colon qui me dit que le logement
était dans le contrat et qu’il ne compenserait pas ma
perte financière... Au fond je m’en fichais pas mal,
du moment que je puisse dormir tranquillement, plus de
résonances de claquettes à minuit dans l'escalier,
d’autant plus que je ne voyais pas m’éterniser dans
les meubles de mon patron.
Un matin, Mélusine se rend à la Banque Populaire d’Ajaccio pour ouvrir un compte dans l’île. Elle entre, soudainement elle entend :
Un matin, Mélusine se rend à la Banque Populaire d’Ajaccio pour ouvrir un compte dans l’île. Elle entre, soudainement elle entend :
-Bonjour Mélusine,
elle se retourne, et se trouve face à une copine
d’école.
-Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Je viens ouvrir un compte
-Je travaille ici…
Cette personne resta un contact, sans plus, Mélusine ne l’avait pas appréciée lors de sa scolarité, la sympathie ne s’engagea pas plus.
Rapidement Mélusine trouva du travail dans une imprimerie. Elle fut surprise d’entendre le patron lui demander si elle connaissait la comptabilité, devant l’affirmative de Mélusine, il lui demanda de prendre en charge des comptas sur machine comptable, les machines à cartes perforées, l’ancêtre du PC, machine dont elle ne connaissait strictement rien, la seule compta qu’elle connaissait était celle tenue sur des livres. Mais Mélusine apprend vite, un essai, tout était OK, sauf que : elle n’était pas déclarée, elle déclina au bout de quelques jours. Elle se rendit ensuite à l’ANPE, où une personne lui demanda si elle voulait « vraiment » du travail, d’abord étonnée de cette précision, Mélusine répondant par l’affirmative reçut une adresse. Elle se rend rapidement à cette adresse, embauchée direct. Cette société était spécialisée dans les surgelés, les produits laitiers.
Anecdote :
Par hasard Mélusine découvre dans une liasse, une facture de bouchons de yaourt ???? Bizarre comme truc, elle pose la question à sa collègue originaire de Paris, elle était venue en vacances en Corse deux ans avant, et n’avait plus lâché le corse ténébreux avec qui elle avait fait des galipettes pendant ses vacances. Mélusine en fit rapidement son amie, cette amie qui avait encore de la famille sur Paris est d’ailleurs passée avec son corse ténébreux, nous faire coucou deux ans plus tard lorsque nous étions réinstallés à Sainte Balise de Castrel, réponse de celle-ci : « On a une machine pour remplacer les bouchons de yaourt périmés pour les redater….. Curieux procédé, déjà en 1976 !
Comme nous n’avions qu’une seule voiture, le matin, je déposais Mélusine à Mezzavia, à un arrêt de cars tout près de ma boîte, je gardais la voiture qui m’était nécessaire dans la journée, cela faisait partie du contrat de travail et j’étais défrayé pour mes déplacements.
Un jour, alors que Mélusine attendait le bus, une Mercédès s’arrête,
- Bonjour madame, vous travaillez chez Viel ? Je vous vois descendre du bus le matin, je suis le patron de la concession Renault juste en face de vos bureaux. Si vous voulez, je vous dépose ? (C'est vrai qu'à l'époque la notion de rendre service faisait partie de la culture corse)
Devant la précision des propos du gars, Mélusine monte en voiture.
Arrivé chez Viel, cet homme la dépose devant les fenêtres des bureaux de Viel. Une fois au bureau, sa collègue parisienne vient à elle et lui dit « Hé bien toi alors, le troisième jours tu t’affiches déjà avec le chef du FLNC » …. Surprise de Mélusine, néanmoins jusqu’à ce que nous ayons deux voitures, elle profita de ce covoiturage comme dirait aujourd’hui la télé propagande. Au cours des trajets, jamais son pilote n’a été évoqué quoi que ce soit sur son militantisme d’autonomiste, c’est le mutisme corse.
Tout se passait bien pour mon boulot, le premier mois je travaillais en doublette avec mon prédécesseur, une passation de fonctions d'un mois. Un peu plus jeune que moi, il connaissait très bien l’île, toutes les entreprises, il me fut d’un grand secours, même plus tard, il m'arrivait de l’appeler sur d’anciens dossiers, sa mémoire exceptionnelle me servit beaucoup. La seule ombre au tableau, était mon patron, qui s'est révélé être d'un alcoolisme avancé, grillé, brûlé, il s’est avéré invivable à partir de 11 heures du matin, son deuxième bureau comme l’appelait mon prédécesseur, c’était le Mezzavia, un café sur la route de Sartène. Il passait 8 heures par jour au bar, installé au Ricard. Colon faisait supporter cette situation à tout le monde, partout où il passait. Inversement cette situation de faits favorisa mes contacts avec les autres entreprises, les architectes et la SOCOTEC qui régulièrement validait les plans de fabrication que j’avais en charge, ceux-ci contents d’avoir en face d’eux un interlocuteur non alcoolisé. J’eus en charge de gros chantiers, parfois compliqués, mais en Corse, tout s’arrange, dans la souplesse, les continentaux feraient bien de prendre de la graine plutôt que se moquer des corses. En parlent le plus, ceux qui ne les connaissent pas, c’est bien connu. Malheureusement mon alcoolique de patron ne voyait pas ma popularité de cet œil, ça lui faisait ombrage, tout comme lui avait fait ombrage celle de mon prédécesseur qui démissionna à force de subir ses coups de gueule…
Dans l’atelier deux beaux-frères du patron géraient le quotidien, la fabrication, c'était les frères de la femme de Colon, tous deux actionnaires de la société avec leur soeur, à trois ils détenaient toutes les actions, Colon n'était que directeur. Les deux beaux-frères se partageait l’atelier en deux partie, usinage d’un côté, montage et ferrage de l’autre. Tout allait pour le mieux, les chantiers se succédaient, je m’intégrai progressivement à la vie corse, je m’étais fait des amis, par le travail et aussi par un collègue de l’oncle de Mélusine, l’adj/c François Flach. qui m’attendait, prévenu de notre arrivée par l’oncle de Mélusine, Andé Dupré, adj/C de gendarmerie en retraite, ancien collègue en Centre Afrique et au Cameroun. Nous nous sommes rencontrés dans les jours qui suivirent mon arrivée, à la caserne Battesti. Lorsque j’arrivai à la caserne, le planton, averti de mon arrivée, m’attendait pour me conduire à son bureau. François m’invita le soir même chez lui, où son épouse nous attendait avec ses filles. Ce fut le point de départ d’une amitié et de rencontres jusqu’à mon départ, je ne l’ai revu avec son épouse qu’en 1983, alors qu'il était en retraite dans son Morbihan natal, je l'avais invité pour la communion de mon fils.
Lors de ma première visite à la caserne, en traversant la cour, au moment de sortir, je vis dans mon rétroviseur un gendarme qui avait du voir le 58 de mon immatriculation, courir derrière ma voiture, je m’arrêtai.
-Vous êtes du Vert Pays des Eaux Vives ?
-Oui
-Moi aussi, je suis de Glandvert
Une discussion s’engage, j’appris qu’il s’appelait Ventard, le nom m’étonna, je demandai s’il était de la famille Prast
-Oui, je suis le petit fils par alliance de R Prast, mon père a épousé la fille Prast.
On pousse plus loin la discussion, je lui parle de Daniel et de sa chute d’une charpente sur un de mes chantiers, j’apprends qu’ils étaient beaux frères par alliance également. Actuellement en 2025, le petit frère Ventard, le frère de cet homme rencontré à la Caserne Battesti, est le patron de l’entreprise Prast. Nous nous revîmes plusieurs fois, apéro, solidarité continentale oblige.
En Corse, François m’introduisit dans la société à la méthode coloniale, invité d’amis en amis à charge de rendre les invitations. J’avoue que ce fut un peu harassant, néanmoins ces rencontres arrosées me permirent de connaître leurs amis comme par exemple le policier Pantaloni motard dans la ville, beau-frère de François, leurs deux femmes étaient sœur, natives de Mascara en Algérie où elles étaient copines avant de connaître leurs époux, François, gendarme, et Pantaloni militaire. Quelles retrouvailles ce dut être en Corse lorsque François y fut muté pour son dernier poste.
Pantaloni était un sacré numéro, plein d’initiatives, par exemple, un jour qu’il remontait à moto la file de voiture, me voyant coincé dans le bouchon, il vint taper à ma glace et me dire :
-Tu vas où
-Je vais à Molini
-Suis moi
Pas le temps de répondre, gyrophare allumé, sirène hurlante lorsque ça dégageait pas assez vite, il me fraya un passage, me précédant sur 5 kms et me lâcher une fois arrivé que sur le chantier sous les regards de tout le monde.
-Hé bien me dit un architecte en riant, au moins vous, chapeau, vous n’êtes pas là depuis longtemps qu' on vous déroule déjà le tapis rouge…
Pantaloni me refit le coup une autre fois pour une autre destination, un soir d’apéro, sous les rigolades des autres invités, je lui demandai gentiment de cesser de me « convoyer », au prétexte que c’était un peu gros vis-à-vis de ceux qui faisaient la queue, que s’il continuait, des jaloux pourraient me plastiquer !
Par ce biais de l’introduction dans la société, je fis connaissance de personnalité aux relations très utiles, entre autres, celle du commissaire de police d’Ajaccio qui me tira d’une belle épine du pied.
Ce commissaire faisait partie du « cercle » de François, on avait rendu l’invitation, pour moi ça s’arrêtait là. Or un jour, alors que j’étais au bureau, dans le bureau à côté, j’entends une personne me demander en se présentant « commissaire…. ». Je pointe mon nez, et je reconnais en ce commissaire, un des invités de soirées, chez qui j’étais allé, et à qui on avait rendu l’invitation.
Il vint à moi, souriant, fermant bizarrement les portes de mon bureau, et après une bonne poignée de main, me dit « Il faut qu’on se voie, j’ai reçu une missive pas gentille vous concernant, pouvez-vous venir ce soir discrètement au commissariat après 20 heures » Je compris qu’il ne voulait pas parler dans mon bureau se doutant de la présence d’éventuelles oreilles indiscrètes, j’acquiesçai, sentant bien la gravité dans sa démarche et curieux d’en savoir plus. Le soir même, je descendis au commissariat pour savoir ce que ce brave homme avait de si grave à me dire.
-J’ai reçu l’ordre de vous apprendre à nager dans le port me dit-il ?
- ??????????
-Oui j’ai reçu une missive vous concernant, comme je ne comprenais pas la motivation et que je ne suis pas taillable et corvéable à merci, souhaitant en savoir plus, j’ai demandé transmission du dossier vous concernant. C’est alors que je pus entrevoir à l’envers la copie de mon courrier à VGE, différents documents, dont un du tribunal de commerce de Glandvert, mais aussi une lettre à entête discrète du SAC, organisation assujettie au RPR dissoute ultérieurement, suite à la tuerie d’Auriol en 1981.
-Vous êtes franchement gonflé me dit-il, vous avez collé une sacrée merde en tapant à l’Elysée pour dénoncer les agissements ce syndic qui fait partie de la bande à Chietrouble, le premier ministre que Giscard vient de virer, vous avez mis les pieds dans un vrai panier de crabes. Néanmoins vous avez eu raison, j’admire votre culot, par contre, ce que vous ignoriez, c’est que votre syndic, est un pilier du RPR, sa femme est parente de Chietrouble ex premier sinistre, ce syndic a été jugé par les autorités de justice coupable de malversations, comprenez bien qu’il n’a pas apprécié, ce salaud là use de ses relations, en l’occurrence, celles du SAC pour se venger. Autant vous dire de suite, et pour vous rassurer, que je ne mange pas de ce pain là, le SAC a été créé par De Gaulle pour certaines besognes politiques, mais pas pour faire des règlement de comptes à la solde des pourris…. C’est plutôt pour lui qu’il faudrait recourir au SAC puisque la justice a été impuissante.
Ce fut un OUF, la bouteille de whisky qu’il avait dans son bureau en prit un coup au nom de ma bien venue en Corse. Je n’entendis plus jamais parler de cette affaire. (Je côtoyai des membres du SAC bien plus tard, alors que celui-ci avait été dissout, les anciens membres venus en renfort du service d’ordre dont je faisais partie, sur un simple coup de fil, lors d’une visite de VGE à Glandvert. Les socialo-communistes avaient menacé de s’en prendre physiquement à VGE au cours de cette visite. Nous avons tous apprécié leur façon de répondre présent lorsque le civisme était menacé.)
Soulagé de la position adoptée par ce commissaire, je rentrai à la maison où Mélusine se faisait de la bile, le lendemain je repris mon boulot, la fin de cet épisode m’avait donné des ailes.
Les voitures en Corse
Je suis arrivé en Corse avec ma Renault 5, je devais l’utiliser au quotidien pour mon emploi, le patron prenait en charge kilomètres et entretient. Or, la R5 n’était pas solide du tout face aux petites routes de Corse, trop basse sur les petites routes qui se dégradent en quelques heures lorsqu'un orage survient. Quelques mois eurent raison de sa suspension vieillissante, qui se mit à claquer d'un peu partout. Je décidai d’acheter une voiture plus solide, une 504 identique à celle que j'avais sur le continent ferait très bien l’affaire, je me rendis à la concession Peugeot, et passai commande, avec reprise de la R5. Il y avait du délai, arrivé à la fin du délai, je m’inquiétai de l’arrivée de ce véhicule, réponse : pas arrivée…
Je patientai encore un peu, puis montai en pression le concessionnaire, engueulai comme il faut le patron, puis j’en partis en claquant la porte. Il me fallait trouver une solution. Je rejoignis mon bureau en bougonnant, la comptable madame Niegro me demanda si j’avais mal aux dents, je lui expliquai l’affaire, ignorant que Colon était derrière sa porte toujours entre baillée. J’évoquai avec madame Niegro l’éventualité d’une Renault puisque chez Peugeot ils ne respectaient pas leurs engagements. Puis j’allai à mon boulot. Le lendemain matin, je vois débouler Colon dans mon bureau dès 8 heures. Si tôt, c’était inhabituel, après son traditionnel bonjour à la cantonade, s’adressant à moi : "Si tu veux une voiture rapidement, dis à ta femme de se rendre au concessionnaire Renault, ils lui trouveront une voiture rapidement, va chez le concessionnaire Renault il y a un choix disponible." Après l’avoir remercié du renseignement, comme je ne pouvais pas m' y rendre en raison d'un rendez-vous de chantier, je téléphonai à Mélusine pour lui expliquer et lui demander si elle pouvait passer chez Renault. Après quelques instants de discussion avec son patron, elle me reprend au téléphone pour me dire qu’elle s’en chargeait, qu’elle prendrait le prochain bus pour se rendre à la concession Renault. Le soir, elle me dit « J’ai signé pour une Renault 20, si on leur prend une R4 en deuxième voiture ils reprennent notre R5, au fond ce serait très bien pour les petites routes, et on aurait chacun sa voiture ». La R4 me convenait très bien, pour l’usage que j’avais à faire, peu de kilométrage à faire, mais sinueux, la R4 était haute de passage, ce serait très bien. J’optai pour le choix de Mélusine, et comme convenu, je passai signer les deux bons de commande dès 8 heures le lendemain matin. Le soir même Mélusine prenait possession de la R20, et moi de la R4 le lendemain soir, juste le temps de mettre en ordre nos contrats d’assurance.
Par contre il me fallait aller chez Peugeot, leur annoncer que je ne leur laisserai pas la R5 et qu’il fallait qu’ils me rendent mon chèque d’acompte, un acompte devenu invalide puisque les conditions de vente n’avaient pas été respectées et de leur fait. De nouveau face au directeur, la moutarde est montée, très haut, le gars ne mesurait pas moins 2 m, il se savait imposant en se dépliant de sa chaise, impressionné certes, je n’ai pas cédé, ma R5 l'intéressait, il la voulait à corps et à cri, refusant de me rembourser l’acompte versé pour la 504. Moi de lui rétorquer que j'avais la carte grise et la voiture, et qu'il ne l'aurait pas, d'autant plus qu'elle était déjà en dépôt chez Renault, etc, etc. Devant cette forme de chantage, je haussai encore le ton en argumentant qu’ils avaient été infichus de respecter leurs engagements, que la commande de la 504 était caduque, qu’ils devaient me rembourser mon acompte, et que la transaction de reprise de la Renault 5 tombait d'office. Ok me répondait-il, mais vous me vendez votre R5 au prix de reprise prévu. Que nenni de ma part, Renault me la reprend, et c'est conclu, la R5 est déjà chez eux. Cette annonce fit monter la pression d’un cran supplémentaire, l’un comme l’autre sommes devenus menaçants comme deux coqs, les noms d’oiseaux fusèrent allègrement, du monde arriva des autres bureaux pour voir ce qu’il se passait… Devant tous les spectateurs, soudainement le colosse se rassit, se tut, il sortit son carnet de chèque, et me remboursa mon acompte. J’ai toujours supposé qu’il avait déjà trouvé repreneur pour ma R5, nous ne le saurons jamais, ou qu'il avait besoin d'une carte grise de Renault 5 ...?
En arrivant au bureau, je raconte l’aventure à la comptable qui n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. Suite à ça, j’appris que la secrétaire de direction de la concession Renault n’était autre que la poule de Colon et la sœur du jeune dessinateur qui était sous ma responsabilité, pas spécialement doué, mais.... embauché par protection. Nous étions maintenant équipé de deux voitures, nous pouvions circuler avec des voitures neuves, achetées au tarif corse : la TV 33 % à l’époque sur les voiture vendues sur le continent, subissait un réfraction de 57 %, pour les insulaires, ce qui ramenait la TVA aux environs de 18% , soit leur TVA en Corse. Une belle économie sur ces deux voitures par rapport au continent que peu de gens connaissent, les insulaires ne s’en vantent pas, ce système de réfraction fonctionnait en Corse sur tous les taux de TVA, une tarification revue à la baisse et qui m’avait un peu dérouté sur les devis.
Le règlement de compte à la corse
Lorsque Mélusine prit son emploi chez Viel, il lui fallait faire garder Nic. En parlant au bureau, madame Niegro, la comptable, me dit, demandez à ….(un ouvrier de la boîte), Il habite près de chez vous, sa femme garde parfois des enfants, ça peut l’intéresser. Je demandai au gars en question, qui me répondit par l’affirmative, me donnant son adresse et me disant de venir voir sa femme le soir. C’était sur la place des Palmiers, à 200m de chez moi, on ne pouvait trouver mieux comme localisation. La transaction se fit, et cette gente dame récupéra Nic à l'école, le soir, pour le garder en attendant le retour de Mélusine, des son travail.
Un jour, je devais prendre ce même ouvrier qui avait un souci avec la voiture de la boîte, pour le déposer chez le concessionnaire, arrivant devant chez lui, j’entends des coups de feu. Je reconnus ce bon vieux calibre 11.43, qui tonne de façon caractéristique, très utilisé à l’époque dans les milieux mafiosos. Deux gars s’étaient battus au pistolet, à la régulière, façon western, sur la place des Palmiers, juste à côté de l'endroit où je devais prendre cet ouvrier. Deux type au sol, baignaient dans leur sang, l’un d’eux bougeait encore à notre arrivée, je me suis approché discrètement au milieu des badauds, un médecin arriva juste pour constater rapidement la mort de l’un, puis quelques instants plus tard celle de l’autre, vidé de son sang, du 11.43 dans le buffet, ça fait des dégâts. Sur le trajet, interrogeant l’ouvrier que je venais chercher, il me répondit, "c’est le boucher un autre gars qui habitait pas loin, le boucher se tapait sa femme, ils ont règlé ça à la régulière …. Un truc qui vous refroidit et vous incite à bien se renseigner sur la famille d'une cruche avant de vouloir en mesurer sa profondeur.… Un tel fait divers aurait défrayé la chronique sur le continent, en Corse, c’était le silence radio. Du coup, la veuve joyeuse, était joyeuse deux fois, plus de mari, plus de julot, la sélection naturelle avait frappé, elle pouvait se remettre en chasse !
La nuit bleue en Corse
En mai 1976 eut lieu « la nuit bleue », pas moins de 80 plastiquage eurent lieu dans la nuit, banques, agences de construction, Arès, Havas, Crédit agricole, tous avaient trinqué, pendant deux heures ce fut le tam-tam dans la nuit. On aurait cru un bombardement. Inquiet, j’arrivai au bureau, tout semblait normal, pas de commentaire, comme si j’avais rêvé. J’interpellai le dessinateur, lui demandai ce qu’il s’était passé la nuit, il me répondit évasivement « Oh rien, certainement des règlements de compte, j’en sais pas plus. »
C’était bien l’omerta sur ce sujet, la comptable muette, les gars idem, Colon aussi, de toute façon je ne lui demandais rien en dehors du boulot. Le lendemain, Mélusine me montra le journal qu'elle avait spécifiquement acheté pour en savoir plus sur ces plastiquage. il y avait des photos, des manifestants cagoulés, d'autres pas cagoulés, parmi lesquels je reconnu le jeune dessinateur de la boîte, pris en photo sur les lieux du plastiquage, et qui la veille m'avait dit n'être au courant de rien, c'est encore ça, la Corse.
Quelques jours plus tard, j’avais RV « exceptionnel » sur un chantier pratiquement terminé pour nous, à Porto Monaggui, sur la route de Cargèse. En arrivant en haut d’un petit col, la route surplombait l’ensemble des constructions, surprise : j'apercevais la mer au travers du bâtiment principal. Ce bâtiment construit par l’agence Arès (je crois), avait été plastiqué, et comment ! Personne n’en avait parlé, les journaux se faisaient évasifs, en Corse, il ne se passait jamais rien, une forme d’omerta.
Arrivé sur les lieux je fis un petit tour du bâtiment principal construit carrément les pieds dans l’eau, certainement ce qui était reproché par le FLNC, au promoteur, et à juste titre. Certains logements déjà habités avaient été abandonnés. Pour leur sécurité, les occupants avaient conduits sur la plage à plusieurs centaines de mètres, sous la menace des armes des plastiqueurs. Leurs logements ne furent pas franchement frappés par les explosions, les autonomistes respectaient les habitants, leur cible, c’était les sociétés d’investissement. Pas de préjudice aux habitants, et pas de sang versé, telle était à l’époque le principe des autonomistes. Par ailleurs, il y eut quand même beaucoup de casse chez les vedettes du show biz qui s'étaient fait construire des « villas » aux dimensions et apparences provocantes, ou située en un emplacement discutable sur le plan environnemental, souvent des permis de construire obtenus par combines ou pressions politiques, bien souvent depuis le continent. Ce fut le cas de celle d’un de nos clients qui était anglais, et pilote de ligne. Sa villa construite de dimension démentielle, sur le haut d’Isolella fut plastiquée deux fois. Pas grave pour nous, Colon fabriqua 3 fois les menuiseries, tout comme les autres entreprises du chantier firent leur travail 3 fois. A bien y regarder, les attentats rapportaient du travail aux entreprises de l’île. Quelque part les autonomistes rendaient justice en luttant contre des permis de construire accordés par magouille ou pots de vin.
Lors de l’inspection des bâtiments et logements, avec les architectes, la SOCOTEC, et les autorités, secrétaire général de la préfecture, du fait de mes connaissances sur les explosifs, je compris de suite que ce plastiquage n' avait pas été fait par des amateurs, les charges avaient été bien placées, bien calculées pour ne pas briser les porteurs, mais de façon à avoir un effet de souffle suffisant pour détruire tout ce qui était cloisons sèches, autrement dit, ce n’était pas des branquignoles qui avaient plastiqué. Je remarquai entre autres un effet dont j’avais entendu parler, sans l’avoir vu à l’armée, le travail des ondes de choc, par répercussion, bien loin de la zone d’explosion. Sur le chantier, ça s’était traduit par exemple, par des portes, situées hors zone de souffle, charnières et serrures arrachées, plaquées contre le mur opposé de la pièce, cela sans faire de dégâts dans des logements placés entre le point d’explosion et celui atteint par l’onde de choc. Très instructif comme spectacle. Après un inventaire interminable, les estimations d’assurances, les travaux ont pu reprendre sur les cages d’immeuble non habitées, pas terminées. En ce qui nous concernait il fallait relancer des fabrications de menuiseries, pour cela, il fallait refaire un dossier de marché, que celui-ci soit validé par tout le monde, puis validé par les assurances. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre Colon me demander de relancer des fabrications de menuiseries détruites, dont nous avions déjà les plans, sans pour autant en avoir le nouveau marché ??? A mon interrogation, il me répond, « de toute façon le marché est pour moi ». Je commençais à comprendre qu’il avait ses passe-droit un peu partout.
Dans un autre dossier, celui de l’école de Porticcio, j’avais chiffré au tout début de ma prise de poste la menuiserie de ce chantier, environ 500 000 francs. Offre rejetée à l’ouverture des enveloppes. Celui-ci revint me voir en bougonnant, il me dit, il faut jouer de 5%.
-Ok répondis-je, je vais diminuer de 5 % poste par poste pour arriver à quelque chose de cohérent.
-Non, non me répondit-il, en plus, tu ne diminues pas, tu majores ….
-?????
Je repris tous les détails à la hausse, sa fille retapa l’ensemble, et on a obtenu le marché. Pour qui étaient destinés les 5% supplémentaires pour faire passer le dossier ? Seul lui savait.
Le pavillon témoin
Tout fonctionnait pour le mieux, je me faisais beaucoup de connaissances, je me liais avec par mal de responsables de chantier, j’étais apprécié vraisemblablement pour une certaine ouverture à mes collègues, concurrents, architectes et clients avec une fermeté lorsqu’il le fallait, mais rien à voir avec les élucubrations de mon alcoolo de patron. Lors d’une réunion de chantier, je fus tiré à part par un promoteur important qui était à la tête d’une très grosse entreprise du BTP, c’était une personne importante en Corse et même sur le continent, notamment en région PACA. Au cours de la conversation je réalisai qu’il savait beaucoup de choses sur moi, beaucoup trop. Il me fit une proposition :
-Tu vois le pavillon témoin là bas, pour le vendre il nous faudrait tout rafraîchir, c’est un F3, si tu le veux, il est à toi pour pas cher.
- ???????
-Je sais que tu loues, c’est une affaire intéressante, je te le cède à moitié prix, il te faut faire les clôtures, la piscine dont l'emplacement est déjà prêt, évidemment il faudra aussi revoir les intérieurs qui sont défraîchis, ce pavillon a servi pour nos ventes, certaines tapisseries ou peintures sont à refaire, je te le laisse à 120 000 francs.
J’en tombai sur le cul, où était le piège ? C’était effectivement une affaire, ces pavillons étaient vendus 250 000 francs sans clôture ni piscine. A mon avis, cette proposition était trop belle pour être honnête. Je lui répondis :
- Vous me surprenez, vous me prenez de court, vous êtes prêt à sacrifier cette vente ?
- Oui, je dois clôturer le financement global de ce lotissement, pour cela tout doit être vendu, si je fais le nécessaire pour la vendre, entre les remises à niveau des peintures et tapisseries, le délai pour la vendre, je vais perdre 6 mois pour le moins, donc je préfère craquer le prix pour en faire profiter quelqu'un au lieu de ne toucher le solde du lotissement que dans 6 ou 8 mois.
Là je comprenais mieux, il s’asseyait sur 120 000 francs, desquels on pouvait déduire les travaux qu’il m’avait énumérés, mais quand même, le cadeau se ferait en échange de quoi ?????
-Ecoutez, lui répondis-je, il faut que j’en parle à ma femme, mais vous connaissez ma situation, la liquidation de mon ancienne entreprise n’est pas terminée, et je suis interdit de tout investissement.
-Je sais ce que c’est j’y suis passé… Voyez avec votre femme, si côté banque vous rencontrez des soucis, parlez en à Colon, je sais qu’il vous aidera, et si ça suffit pas, je vous prête ce qu’il manquera.
La mariée était trop belle, je fus encore plus sur la défensive, il voulait débloquer ses derniers financements, certes, mais sa gentillesse pourrait bien changer. Qu’allait-il me demander en échange ? Dans quelle magouille allait-il m’entraîner, il était connu pour être un magouilleur.
Quelques jours plus tard je lui fis part de notre rejet du projet. Combien de fois Mélusine et moi avons-nous repensé au rejet de cette proposition, nous serions restés en Corse. La question demeurait, quel était l’intérêt pour promoteur subitement généreux, sinon me tenir en laisse pour ses affaires ? Je ne souhaitais pas du tout à me retrouver sous le joug de cet individu, la magouille à la corse ne m’encourageait pas du tout dans cet achat. Certes, tout en haut des terrasses de Porticcio, pour les nivernais que nous étions, nous aurions été des princes. Mais peut-être aussi, aurions-nous été plastiqués ?
Le centre de vacances
Un matin, Colon arrive dans mon bureau, me disant
-Il y a un appel d’offre pour un village de vacances de 20 blocs qui va se construire dans la région de Cargèze, j’ai envie de répondre à cette adjudication, c'est un gros morceau.
-Pourquoi pas, il faudrait récupérer un jeu de plans, CCPT, et CG. On a déjà une idée du prix du dossier ?
-Je vais voir, mais c’est la charpente et l’isolation qui m’intéresseraient, la menuiserie est prévue aluminium.
-Quand vous aurez le montant du dossier, vous faites faire le chèque, j’enverrai le dessinateur récupérer le dossier d’appel d’offres.
Quelques jours après, le dossier en main, je jette un œil global, qui m'amena à lui dire, "Dans ce chantier il y a une grosse difficulté, ce sont de longues portées, et vu l’isolation à faire, c’est impossible en canadienne en raison du coefficient d'isolation exigé et de l’épaisseur d’isolation que ça va entraîner."
- Il repart à son bistro en bougonnant.
Il revient à la charge le lendemain matin, Colon avait contacté un fabriquant de lamellé-collé pour se faire fabriquer les fermes longue portée. Entre temps, j’avais réfléchi au souci que nous posait l'isolation, j’avais une idée. Au Vert Pays des Eaux Vives, j’avais étudié des couvertures isolantes pour l’ancienne usine Fiat à Fourchambald, un projet non retenu par les italiens qui ont investi ailleurs. Pour ce chantier, j’avais été mis en relation avec un directeur de Saint-Gobain, qui m’avait documenté sur un nouveau produit, semi porteur que se plaçait sous toiture, avec d’excellents coefficients d’isolation, ce produit était tout à fait adapté à une pose sous charpente en lamellé-collé. Je me remets en rapport avec ce directeur, qui fut surpris de mon appel depuis la Corse. Je lui explique notre problème, et devant les coefficients requis en raison de l’ensoleillement en Corse, il me répondit, « au niveau coefficient, on peut sans problème augmenter les épaisseur de ce produit et répondre aux prescriptions exigées, il faudra juste qu'on revoie les fixations, mais c’est pas un souci. » C'était déjà une bonne nouvelle pour ce chantier où les concurrents seraient rares et confrontés au même soucis de coefficients d'isolation, un domaine où grâce à cette passée pour ce chantier de Fourchambald, on avait une longueur d'avance.
D’emblée je demandai une tarification pour la surface totale, et avec un isolation correspondant au coefficient exigé. Une offre nous parvint rapidement et peu de temps plus tard, des échantillons d'isolant et des échantillons d’accessoires d’accrochage des panneaux arrivèrent par bateau.
Ces échantillons en main, nous avons pris rendez-vous avec la SOCOTEC et l’architecte du projet, je présentai les matériaux. Ces matériaux nouveaux, étaient inconnus en Corse, ce fut une surprise générale, intéressante par son tarif. L’architecte et la SOCOTEC nous promirent de tenir le secret sur cette option. Ils ont tenu parole, je me suis remis au boulot, et préparai les chiffrages, ce fut la surprise totale pour la concurrence. Comme il s’agissait d’un très gros marché, Colon me demanda de faire le chiffrage avec moi, près de deux ans que je jouais dans cette cour là, quelle belle marque de confiance, néanmoins ça montait très haut, je ne me rappelle plus les chiffres, je remballai mon orgueil, d'un autre côté il y avait de quoi inquiéter un patron, c'était légitime, et si ça l’amusait de me cracher dans les mains, pourquoi pas. Je fis un détail et un quantitatif par bâtiment, avec le planning d’approvisionnement en fonction des dates avancées au planning de marché. Quelques jours plus tard, je vis rapidement Colon pour lui faire part de mon avancement, on arrivait au chiffrage définitif. Dans la foulée je lui proposai de finaliser le chiffrage le lendemain matin. Prudent, sous prétexte de ne pas être dérangé, je lui proposai de clore ce chiffrage avec lui à 4 heures du matin, heure où normalement il serait à jeun. Le lendemain à 8 heures, le chiffrage était terminé, restait à rédiger l’offre, et la faire taper par sa fille. Colon qui devait tirer la langue depuis un moment partit en douce, je me dis, ça y est il va à son second et principal bureau.
Vers 9 heures, un de ses beaux frères vint me signaler qu’ils avaient fini la fabrication d'une série, me demandant les fiches de fabrication d’une autre série. Je lui donnai de suite des fiches de fabrication qui étaient prêtes pour un nouveau chantier. Cela semblait normal, il ne fallait pas arrêter la production.
Vers 11 heures, j’entends la Mercédès brailler dans la cour, je me dis, ça y est il en tient encore une bonne. Quelques minutes plus tard j’entendis Colon hurler dans l’atelier, puis faire irruption dans les bureaux en bousculant au passage le jeune dessinateur, puis il entra dans mon bureau pour m’interpeller :
-Pourquoi tu as donné cette fabrication à l’atelier ?
-Parce qu’ils étaient à l’arrêt et qu’ils me l’ont demandé, les fiches étaient prêtes.
- Tu te crois en pays conquis ou quoi ?
-Ah bon, vous préférez qu’ils glandent ?......
Il répète encore plus fort, affirmatif cette fois :
-Tu te conduis vraiment comme en pays conquis !
-Hé bien vous n’avez qu’à me faire sauter, ici vous savez faire.
Je le vis armer son coup de poing, me détournant vivement, son poing passa à deux doigts de mon nez, je saisis son bras au retour, l’accompagnai d’une clé bien appuyée en direction du sol pour le déstabiliser et le faire tomber. La table à dessin qui se trouvait dans sa trajectoire descendit sous le poids pour stopper sa chute à mi course, il se retrouva à 40 cm du sol, pieds désarçonnés. Je relâchai ma prise, il se releva, tout penaud, j’étais prêt à contre attaquer, tout cela sous l’oeil du dessinateur accouru à une porte et de la comptable à l’autre, tous deux attirés par son coup de gueule, ils avaient assisté à toute la scène. Il sortit en bousculant la comptable, je ne le revis pas de la journée.
La comptable me dit
- Je ne pensais pas qu’il en arriverait là, mais c’est plus tenable.
Ce à quoi je lui répondis,
- je pense que je n’ai plus rien à faire ici, je vais lui écrire.
Je pris ma voiture et partis en avance sur un chantier, histoire de m’oxygéner un peu la tête. De retour au bureau à 13h30 comme d’habitude, c’était le calme plat, comme si rien ne s’était passé, puis je me rendis à une réunion de chantier. Le soir, après avoir expliqué l’affaire à Mélusine, je rédigeai une lettre recommandée à mon cher patron. Dans ce courrier, je rappelai les faits, et ses actes qui ont entraîné ma réplique défensive, concluant par les termes suivant : « Attendu que cette situation résulte uniquement de votre fait, que vous avez tenté de me frapper, je me considère libre de tout engagement envers votre entreprise, à dater du jour de la réception de la présente. Me retrouvant de fait sans emploi, je restai libre du choix de la date de mon départ en fonction de l’emploi que je trouverai», s’en suivait la rituelle formule de politesse. Lettre postée le lendemain matin, j’en avisai la comptable qui me regarda d’un air bien emmerdé, sans me répondre. En effet, j’avais apprécié la collaboration avec cette personne efficace, qui inversement, m’avait tout autant apprécié ces deux années écoulées.
Ne souhaitant pas quitter la Corse, je me mis en quête d’un autre emploi. J’en informai mes relations de chantier, les architectes, les conducteurs de travaux, et les autres entreprises, tous peu surpris de cette affaire. Après avoir fourni quelques explications, la plus part de ces personnes ayant déjà vécu le départ de mon prédécesseur très apprécié par ailleurs, tous connaissant bien Colon et son alcoolisme, me donnèrent raison de chercher ailleurs. Dans les quelques jours qui suivirent, je reçus au bureau un appel téléphonique d’un architecte qui me proposait du boulot à son bureau d’étude, malheureusement payé au black. Je déclinai tout en gardant la porte ouverte pour le cas où je ne trouverais rien d’autre, ou si la situation devenait intenable avec Colon, lui proposant, s’il était débordé, de le dépanner sur des études. Or rien d’intenable ne survint pendant les deux mois qui suivirent, Colon se tenait sage, je faisais des recherches sur le Moniteur du Bâtiment, le Monde, etc. Je trouvai, à Mezzavia, un poste de conducteur de travaux, tout près de l’entreprise Colon, trop près, car rapidement il sut que j’avais postulé. Il me cassa la baraque.
Puis je trouvai dans Corse Nice Matin, une annonce pour un poste de responsable de production à Bonifaccio. Je rencontrai le patron, nous fîmes le tour de l’atelier de quelques chantiers, le poste me convenait très bien, le salaire un peu moindre, mais le poste logé sur le site, c’était le top pour partir d’Ajaccio sans trop de souci. Tout allait pour le mieux, je préparai mon déménagement. Puis un soir, appel au téléphone du patron de cette sté, qui me dit décliner mon embauche. Je mis un coup de pression au type pour connaître le pourquoi et le comment de ce subit revirement. Gêné il m’avoua qu’il avait été appelé par Colon, lui demandant de ne pas m’embaucher…. Un peu surprenant certes, mais en Corse, toutes les influences existent, celle qui consistent à ne pas se mettre en travers de Colon existait bel et bien. Colon était coutumier du renvoi d’ascenseur sur les affaires, notamment les adjudications. Il avait la plus grosse entreprise de menuiserie de l’île, il faisait sa loi, le faisait savoir. Je découvris ainsi que Colon suivait toutes les annonces de l’île qui auraient pu m’intéresser, me pistant pour torpiller mes demandes d’emploi. Je ne l’avais pas compris de suite, il voulait que je reste. Je le sus par déduction quelques jours plus tard, lorsque l'épouse de Colon qui détenait avec ses deux frères, toutes les actions de l’entreprise, déboula à la maison pour plaider la cause de Colon auprès de Mélusine, lui demandant de me convaincre de rester, que Colon n'était pas un mauvais bougre, mais que l'alcool le détruisait, et que malgré tout il regrettait cette affaire, etc, etc... Je ne cédai pas pour autant. Un soir, elle m’attendait dans sa voiture à la sortie de l’entreprise, me stoppant elle me demanda de la suivre pour qu’on discute de mon départ. Devant son insistance, je la suivi jusqu’à un troquet voisinant où elle m’étala la situation, la sienne, sa position, ses intérêts dans l'entreprise, elle me demanda officiellement de rester, dans, les intérêts de tous, je pense qu'elle était consciente que son mari menait l'entreprise à sa perte, ce qui ne manqua pas de survenir trois ans plus tard. A écouter Mme Colon, on aurait pu croire que j’étais irremplaçable, mais je considérai la casquette vraiment trop grande pour moi… Je pense même qu’en acceptant, j’aurais pu bénéficier des « faveurs » de la dame, je connaissais la facilité avec laquelle elle compensait « l’indisponibilité alcoolique » de son bonhomme, je fus de suite sur la défensive et campai sur ma position de départ. Longtemps après, et encore maintenant, je pense que cette décision fut certainement celle de ma vie. Sauf à me faire flinguer par Colon, en jouant au gigolo, je me serais infailliblement retrouvé à la tête de l’entreprise. Mais que voulez-vous, j’avais 29 ans, j’aimais Mélusine, une fée Mélusine pas encore mutée en fée Carabosse, une fée Carabosse vicieusement cachée derrière les mâchoires de fée Lation. Ma situation matrimoniale me convenait, Mélusine et moi avions un fils de 4 ans, alors que la femme de Colon avait 40 ans, belle allure certes, mais malgré les camouflages, les dégâts des expositions solaires étaient bien présents, son carnet de chèque existait aussi... Je ne m’engageai pas sur ce terrain là, et persistai dans mon idée de départ de l’île, certain que Colon serait toujours aussi chiant qu’avant le conflit. Si j’avais su que Mélusine muterait en Carabosse, peut-être aurais-je vu les choses différemment.
Ces deux échecs torpillés par Colon me confortèrent dans l’idée que tant je serais en Corse, il me causerait des ennuis. C’est de là que je décidai de faire mes valises. Fort de cet échec, j’élargis mes recherches d’emploi, objectif, quitter l’île. L’affaire n’était pas du goût de Mélusine qui se plaisait à son emploi, bien payée de surcroît. Mais réalité obligeait, souvent elle me reprocha ce départ, le doute sur cette décision radicale à ce jour m’habite encore aujourd’hui.
Quelques jours plus tard une entreprise de la banlieue d’Orléans à qui j"avais transmis mon CV me répondit, j’avais postulé quelques semaines plus tôt à son annonce parue dans le Moniteur du Bâtiment. Après un long appel téléphonique avec le patron, PYC, il fut convenu d’une embauche, du salaire, et d’une période d’essai, en gros la procédure habituelle, sauf que je ne me suis pas déplacé au préalable, tout s’est réglé par téléphone, l'engagement pour une période d'essai fut signé par échange de courrier. Je pense que si j’avais eu ce zozo en face de moi, je n’aurais certainement pas opté pour cette entreprise située à Saint Jean de Braye, en périphérie d’Orléans.
Le jour de mon départ de Corse arriva, je réglai les formalités avec le propriétaire de mon logement, et fis cartons et valises. Puis je décidai d’aller jeter les déchets dans une grande décharge située au 2 kilomètres plus haut dans la montagne. En arrivant, on surplombait tout le site de cette décharge ? Que vois-je au beau milieu : la carlingue du Boeing 707 qui avait été plastiqué lors de la nuit bleue, coupé en morceaux pour être transporté dans ce crassier. Mon appareil photo était déjà emballé, c’était bien dommage, le cliché était exceptionnel, la vue d’un Boeing dans une décharge était franchement incroyable, il fallait être en Corse pour voir ça. Bien évidemment les réacteurs et pièces importantes avaient été retirées, les restes représentaient quand même des tonnes d’aluminium bazardées ainsi. On ne voit ça qu’en Corse. C’est sur ces images que j’embarquai le soir pour Marseille avec les deux voitures bien chargées. Je passai par le Ranch triple S, pour délester une partie des voitures, et continuer ma route sur Sainte Balise de Castrel. Le lendemain, je prenais la direction d’Orléans où j’avais rendez-vous avec mon futur patron.
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Orléans
Arrivé à Orléans, je trouvai assez facilement la zone industrielle de Saint Jean de Braye, puis l’entreprise où le patron, PYC m’attendait, il était plus jeune que moi, d'une allure façon jeune cadre dynamique qui m’alerta de suite. Une impression que les mois suivants m’ont confirmée, comme s'est confirmée sa fumisterie vis-à-vis du personnel. Après avoir conclu le contrat de travail, je me mis en quête d’un appartement. Ce n’était pas facile à trouver sur Orléans, j’avais demandé des indices à mon patron, vu le peu d’intérêt que celui-ci apporta à ma demande, je commençai d’emblée à être sur la défensive, la première impression se confirmait déjà : ce n’était pas son problème, donc c'était un vrai petit con.
Je pris possession du bureau dont je devais assumer l’organisation il me fut présenté deux personnes que selon PYC, je devais considérer comme mes collaborateurs, sous mes ordres (Encore une surprise, comme si je n'étais pas capable de me faire une idée sur les personnes...), Il y avait :
-Grand Pierre, un jeune de 22-23 ans, assez efficace, il avait en charge la partie menuiserie aluminium, une fabrication que je ne connaissais que de loin, et dont je lui laissais volontiers la conduite, ce qu’il apprécia, lui-même tenant à conserver son autonomie, le courant passa très bien avec lui, et très rapidement, cette attitude amicalement réciproque apparut comme n'étant pas du goût de PYC adepte du « diviser pour régner ».
-Angel, un jeune portugais, sorti de l’atelier, qui connaissait très bien toutes les ficelles, très gentil, qui apprenait vite, mais lui aussi, traité bassement par PYC. Angel me sut gré de n’en avoir pas rajouté à son mal vivre depuis son installation au bureau sur conseil du chef d’atelier. Ce chef d’atelier avait la cinquantaine, il avait connu PYC en culottes courtes, lorsque le père de PYC était le patron. Or PYC mettait régulièrement Angel plus bas que terre, celui-ci le vivait mal, il fut heureux que mon soutient s’ajoute à celui de Grand-Pierre et du chef d’atelier. Par contre mes prises de position, les heures passées à le former aux métrages agaçaient PYC. C’était franchement un petit con, je ne ferai donc pas de vieux os ici, mes collègues le comprirent rapidement, s'en ouvrirent même à moi. Je ne parlai pas de cette tension à Mélusine pour ne pas l’agacer, par contre je cessai mes recherches de logement. Dans l’idée de chercher autre chose ailleurs, je décidai de ne pas prendre d'engagements fermes, préférant louer une caravane sur le camping de Chécy à quelques kilomètres pour terminer mon engagement d'essai. Ce ne fut pas du goût de PYC qui, au travers de ces repères là, avait dut sentir venir mon départ de son entreprise, mon préavis se terminait dans 3 mois, il était facile de deviner que je botterais en touche.
Entre temps, je pus racheter mes machines par le biais de mon père, et Mélusine la maison par le biais du sien. Nous pourrons ainsi réintégrer la maison, l’atelier pourrait fonctionner à nouveau, une nouvelle porte s’ouvrait, j’avais dans la tête de fabriquer du meuble massif, artisanal, un débouché en pleine ascension à l’époque. Pendant les mois qui suivirent j’allai de surprise en surprise, pour finir par casser le bail avec PYC avant la fin de la période d’essai. En effet, PYC s’est révélé être un magnifique petit con, pas d’autres mots pour qualifier ce jeune patron qui se la jouait à la jeune cadre dynamique, maltraitant son personnel, le prenant carrément pour de la merde ! Son entreprise, montée de toute part par son père lui était tombée du ciel, PYC était un beau fils à papa. Il ne connaissait rien au métier, rien à la conduite des hommes, il ne connaissait que la forfaiture et la combine malsaine et avilissante, je regrettais déjà la Corse. Mélusine de son côté avait trouvé un poste de secrétaire de direction chez un grossiste en vin très connu, et bien payée, elle vivait bien son emploi, quelle déception de ne pas être logés à la même enseigne, PYC était connu dans l'entreprise où travaillait Mélusine, exactement comme je l’ai dépeint, ses collègues lui ont confirmé qu’il était connu comme un beau salaud. Elle ne fut pas surprise de la mauvaise finalité de mon embauche et ne me tint pas rigueur de mon retour à Sainte Balise de Castrel. Un peu avant la fin de la période d’essai, à ma demande, j’eus une sérieuse discussion avec PYC, je lui dis clairement que pour le personnage mal embouché que j’étais, une chose était sacrée : le respect des personnes au travail, que le personnel comptait plus que tout si on voulait pouvoir compter sur eux, et qu'il ferait bien d'y réfléchir lui-même s'il voulait être un vrai patron. Comme il n’était pas d’accord avec cette approche sur le commandement, l’affaire était dite, je le savais d’avance, lui aussi, il fut convenu de mon départ. Ce départ ne mit pas en joie Mélusine, je crois même que la fée Lation abandonna quelques temps le corps de Mélusine … Néanmoins, malgré son inquiétude pour la suite, elle ne fut pas mécontente de se retrouver dans ses murs à Sainte Balise de Castrel, puis Lation réintégra Mélusine.
C’est ainsi que je repris pied au Vert Pays des Eaux Vives. Revenu dans ma maison, je recommençai des recherches d’emploi, une réponse me parvint d’une entreprise de Loire Atlantique, je rencontrai les patrons, trois frères avec le père encore en activité, et qui supervisait tout. Mon profil semblait leur convenir, les conditions me convenaient, un poste de métreur dans une entreprise de 100 personnes, c’était un bon challenge, pourquoi pas cette région ? Après l’entretien, les deux frères m’accompagnèrent au bar de l’entreprise, quelques instants plus tard, ils me présentèrent leur père, on discuta, et subitement il me brancha sur la Corse, m’avouant qu’il était d’origine Corse et que le nom de Colon lui disait quelque chose, sans plus. Puis je pris le chemin du retour. Quatre jours plus tard je reçus un courrier déclinant mon embauche, je saute sur le téléphone, pour apprendre que le patriarche avait fait jouer ses relations en Corse pour avoir Colon au téléphone, la suite coule de source, les corses ne se mangent pas, le fils que j’ai eu au téléphone s’avouait navré, mais patriarche décidait, point. A cet instant je compris qu’à tout poste de responsabilité pour lequel je pouvais postuler, si des demandes de renseignements atterrissaient sur le bureau de Colon, mon passage chez lui, envers et contre tout me serait toujours opposé.
Force est d’admettre qu’il me fallait faire autre chose, je décidai de lancer dans une fabrication de meubles, ma liquidation pas encore clôturée, c’était risqué, Mélusine avec qui j’avais fait une séparation de biens pour cette cause, me servit de prête nom pour l’entreprise Tradibois.
-Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Je viens ouvrir un compte
-Je travaille ici…
Cette personne resta un contact, sans plus, Mélusine ne l’avait pas appréciée lors de sa scolarité, la sympathie ne s’engagea pas plus.
Rapidement Mélusine trouva du travail dans une imprimerie. Elle fut surprise d’entendre le patron lui demander si elle connaissait la comptabilité, devant l’affirmative de Mélusine, il lui demanda de prendre en charge des comptas sur machine comptable, les machines à cartes perforées, l’ancêtre du PC, machine dont elle ne connaissait strictement rien, la seule compta qu’elle connaissait était celle tenue sur des livres. Mais Mélusine apprend vite, un essai, tout était OK, sauf que : elle n’était pas déclarée, elle déclina au bout de quelques jours. Elle se rendit ensuite à l’ANPE, où une personne lui demanda si elle voulait « vraiment » du travail, d’abord étonnée de cette précision, Mélusine répondant par l’affirmative reçut une adresse. Elle se rend rapidement à cette adresse, embauchée direct. Cette société était spécialisée dans les surgelés, les produits laitiers.
Anecdote :
Par hasard Mélusine découvre dans une liasse, une facture de bouchons de yaourt ???? Bizarre comme truc, elle pose la question à sa collègue originaire de Paris, elle était venue en vacances en Corse deux ans avant, et n’avait plus lâché le corse ténébreux avec qui elle avait fait des galipettes pendant ses vacances. Mélusine en fit rapidement son amie, cette amie qui avait encore de la famille sur Paris est d’ailleurs passée avec son corse ténébreux, nous faire coucou deux ans plus tard lorsque nous étions réinstallés à Sainte Balise de Castrel, réponse de celle-ci : « On a une machine pour remplacer les bouchons de yaourt périmés pour les redater….. Curieux procédé, déjà en 1976 !
Comme nous n’avions qu’une seule voiture, le matin, je déposais Mélusine à Mezzavia, à un arrêt de cars tout près de ma boîte, je gardais la voiture qui m’était nécessaire dans la journée, cela faisait partie du contrat de travail et j’étais défrayé pour mes déplacements.
Un jour, alors que Mélusine attendait le bus, une Mercédès s’arrête,
- Bonjour madame, vous travaillez chez Viel ? Je vous vois descendre du bus le matin, je suis le patron de la concession Renault juste en face de vos bureaux. Si vous voulez, je vous dépose ? (C'est vrai qu'à l'époque la notion de rendre service faisait partie de la culture corse)
Devant la précision des propos du gars, Mélusine monte en voiture.
Arrivé chez Viel, cet homme la dépose devant les fenêtres des bureaux de Viel. Une fois au bureau, sa collègue parisienne vient à elle et lui dit « Hé bien toi alors, le troisième jours tu t’affiches déjà avec le chef du FLNC » …. Surprise de Mélusine, néanmoins jusqu’à ce que nous ayons deux voitures, elle profita de ce covoiturage comme dirait aujourd’hui la télé propagande. Au cours des trajets, jamais son pilote n’a été évoqué quoi que ce soit sur son militantisme d’autonomiste, c’est le mutisme corse.
Tout se passait bien pour mon boulot, le premier mois je travaillais en doublette avec mon prédécesseur, une passation de fonctions d'un mois. Un peu plus jeune que moi, il connaissait très bien l’île, toutes les entreprises, il me fut d’un grand secours, même plus tard, il m'arrivait de l’appeler sur d’anciens dossiers, sa mémoire exceptionnelle me servit beaucoup. La seule ombre au tableau, était mon patron, qui s'est révélé être d'un alcoolisme avancé, grillé, brûlé, il s’est avéré invivable à partir de 11 heures du matin, son deuxième bureau comme l’appelait mon prédécesseur, c’était le Mezzavia, un café sur la route de Sartène. Il passait 8 heures par jour au bar, installé au Ricard. Colon faisait supporter cette situation à tout le monde, partout où il passait. Inversement cette situation de faits favorisa mes contacts avec les autres entreprises, les architectes et la SOCOTEC qui régulièrement validait les plans de fabrication que j’avais en charge, ceux-ci contents d’avoir en face d’eux un interlocuteur non alcoolisé. J’eus en charge de gros chantiers, parfois compliqués, mais en Corse, tout s’arrange, dans la souplesse, les continentaux feraient bien de prendre de la graine plutôt que se moquer des corses. En parlent le plus, ceux qui ne les connaissent pas, c’est bien connu. Malheureusement mon alcoolique de patron ne voyait pas ma popularité de cet œil, ça lui faisait ombrage, tout comme lui avait fait ombrage celle de mon prédécesseur qui démissionna à force de subir ses coups de gueule…
Dans l’atelier deux beaux-frères du patron géraient le quotidien, la fabrication, c'était les frères de la femme de Colon, tous deux actionnaires de la société avec leur soeur, à trois ils détenaient toutes les actions, Colon n'était que directeur. Les deux beaux-frères se partageait l’atelier en deux partie, usinage d’un côté, montage et ferrage de l’autre. Tout allait pour le mieux, les chantiers se succédaient, je m’intégrai progressivement à la vie corse, je m’étais fait des amis, par le travail et aussi par un collègue de l’oncle de Mélusine, l’adj/c François Flach. qui m’attendait, prévenu de notre arrivée par l’oncle de Mélusine, Andé Dupré, adj/C de gendarmerie en retraite, ancien collègue en Centre Afrique et au Cameroun. Nous nous sommes rencontrés dans les jours qui suivirent mon arrivée, à la caserne Battesti. Lorsque j’arrivai à la caserne, le planton, averti de mon arrivée, m’attendait pour me conduire à son bureau. François m’invita le soir même chez lui, où son épouse nous attendait avec ses filles. Ce fut le point de départ d’une amitié et de rencontres jusqu’à mon départ, je ne l’ai revu avec son épouse qu’en 1983, alors qu'il était en retraite dans son Morbihan natal, je l'avais invité pour la communion de mon fils.
Lors de ma première visite à la caserne, en traversant la cour, au moment de sortir, je vis dans mon rétroviseur un gendarme qui avait du voir le 58 de mon immatriculation, courir derrière ma voiture, je m’arrêtai.
-Vous êtes du Vert Pays des Eaux Vives ?
-Oui
-Moi aussi, je suis de Glandvert
Une discussion s’engage, j’appris qu’il s’appelait Ventard, le nom m’étonna, je demandai s’il était de la famille Prast
-Oui, je suis le petit fils par alliance de R Prast, mon père a épousé la fille Prast.
On pousse plus loin la discussion, je lui parle de Daniel et de sa chute d’une charpente sur un de mes chantiers, j’apprends qu’ils étaient beaux frères par alliance également. Actuellement en 2025, le petit frère Ventard, le frère de cet homme rencontré à la Caserne Battesti, est le patron de l’entreprise Prast. Nous nous revîmes plusieurs fois, apéro, solidarité continentale oblige.
En Corse, François m’introduisit dans la société à la méthode coloniale, invité d’amis en amis à charge de rendre les invitations. J’avoue que ce fut un peu harassant, néanmoins ces rencontres arrosées me permirent de connaître leurs amis comme par exemple le policier Pantaloni motard dans la ville, beau-frère de François, leurs deux femmes étaient sœur, natives de Mascara en Algérie où elles étaient copines avant de connaître leurs époux, François, gendarme, et Pantaloni militaire. Quelles retrouvailles ce dut être en Corse lorsque François y fut muté pour son dernier poste.
Pantaloni était un sacré numéro, plein d’initiatives, par exemple, un jour qu’il remontait à moto la file de voiture, me voyant coincé dans le bouchon, il vint taper à ma glace et me dire :
-Tu vas où
-Je vais à Molini
-Suis moi
Pas le temps de répondre, gyrophare allumé, sirène hurlante lorsque ça dégageait pas assez vite, il me fraya un passage, me précédant sur 5 kms et me lâcher une fois arrivé que sur le chantier sous les regards de tout le monde.
-Hé bien me dit un architecte en riant, au moins vous, chapeau, vous n’êtes pas là depuis longtemps qu' on vous déroule déjà le tapis rouge…
Pantaloni me refit le coup une autre fois pour une autre destination, un soir d’apéro, sous les rigolades des autres invités, je lui demandai gentiment de cesser de me « convoyer », au prétexte que c’était un peu gros vis-à-vis de ceux qui faisaient la queue, que s’il continuait, des jaloux pourraient me plastiquer !
Par ce biais de l’introduction dans la société, je fis connaissance de personnalité aux relations très utiles, entre autres, celle du commissaire de police d’Ajaccio qui me tira d’une belle épine du pied.
Ce commissaire faisait partie du « cercle » de François, on avait rendu l’invitation, pour moi ça s’arrêtait là. Or un jour, alors que j’étais au bureau, dans le bureau à côté, j’entends une personne me demander en se présentant « commissaire…. ». Je pointe mon nez, et je reconnais en ce commissaire, un des invités de soirées, chez qui j’étais allé, et à qui on avait rendu l’invitation.
Il vint à moi, souriant, fermant bizarrement les portes de mon bureau, et après une bonne poignée de main, me dit « Il faut qu’on se voie, j’ai reçu une missive pas gentille vous concernant, pouvez-vous venir ce soir discrètement au commissariat après 20 heures » Je compris qu’il ne voulait pas parler dans mon bureau se doutant de la présence d’éventuelles oreilles indiscrètes, j’acquiesçai, sentant bien la gravité dans sa démarche et curieux d’en savoir plus. Le soir même, je descendis au commissariat pour savoir ce que ce brave homme avait de si grave à me dire.
-J’ai reçu l’ordre de vous apprendre à nager dans le port me dit-il ?
- ??????????
-Oui j’ai reçu une missive vous concernant, comme je ne comprenais pas la motivation et que je ne suis pas taillable et corvéable à merci, souhaitant en savoir plus, j’ai demandé transmission du dossier vous concernant. C’est alors que je pus entrevoir à l’envers la copie de mon courrier à VGE, différents documents, dont un du tribunal de commerce de Glandvert, mais aussi une lettre à entête discrète du SAC, organisation assujettie au RPR dissoute ultérieurement, suite à la tuerie d’Auriol en 1981.
-Vous êtes franchement gonflé me dit-il, vous avez collé une sacrée merde en tapant à l’Elysée pour dénoncer les agissements ce syndic qui fait partie de la bande à Chietrouble, le premier ministre que Giscard vient de virer, vous avez mis les pieds dans un vrai panier de crabes. Néanmoins vous avez eu raison, j’admire votre culot, par contre, ce que vous ignoriez, c’est que votre syndic, est un pilier du RPR, sa femme est parente de Chietrouble ex premier sinistre, ce syndic a été jugé par les autorités de justice coupable de malversations, comprenez bien qu’il n’a pas apprécié, ce salaud là use de ses relations, en l’occurrence, celles du SAC pour se venger. Autant vous dire de suite, et pour vous rassurer, que je ne mange pas de ce pain là, le SAC a été créé par De Gaulle pour certaines besognes politiques, mais pas pour faire des règlement de comptes à la solde des pourris…. C’est plutôt pour lui qu’il faudrait recourir au SAC puisque la justice a été impuissante.
Ce fut un OUF, la bouteille de whisky qu’il avait dans son bureau en prit un coup au nom de ma bien venue en Corse. Je n’entendis plus jamais parler de cette affaire. (Je côtoyai des membres du SAC bien plus tard, alors que celui-ci avait été dissout, les anciens membres venus en renfort du service d’ordre dont je faisais partie, sur un simple coup de fil, lors d’une visite de VGE à Glandvert. Les socialo-communistes avaient menacé de s’en prendre physiquement à VGE au cours de cette visite. Nous avons tous apprécié leur façon de répondre présent lorsque le civisme était menacé.)
Soulagé de la position adoptée par ce commissaire, je rentrai à la maison où Mélusine se faisait de la bile, le lendemain je repris mon boulot, la fin de cet épisode m’avait donné des ailes.
Les voitures en Corse
Je suis arrivé en Corse avec ma Renault 5, je devais l’utiliser au quotidien pour mon emploi, le patron prenait en charge kilomètres et entretient. Or, la R5 n’était pas solide du tout face aux petites routes de Corse, trop basse sur les petites routes qui se dégradent en quelques heures lorsqu'un orage survient. Quelques mois eurent raison de sa suspension vieillissante, qui se mit à claquer d'un peu partout. Je décidai d’acheter une voiture plus solide, une 504 identique à celle que j'avais sur le continent ferait très bien l’affaire, je me rendis à la concession Peugeot, et passai commande, avec reprise de la R5. Il y avait du délai, arrivé à la fin du délai, je m’inquiétai de l’arrivée de ce véhicule, réponse : pas arrivée…
Je patientai encore un peu, puis montai en pression le concessionnaire, engueulai comme il faut le patron, puis j’en partis en claquant la porte. Il me fallait trouver une solution. Je rejoignis mon bureau en bougonnant, la comptable madame Niegro me demanda si j’avais mal aux dents, je lui expliquai l’affaire, ignorant que Colon était derrière sa porte toujours entre baillée. J’évoquai avec madame Niegro l’éventualité d’une Renault puisque chez Peugeot ils ne respectaient pas leurs engagements. Puis j’allai à mon boulot. Le lendemain matin, je vois débouler Colon dans mon bureau dès 8 heures. Si tôt, c’était inhabituel, après son traditionnel bonjour à la cantonade, s’adressant à moi : "Si tu veux une voiture rapidement, dis à ta femme de se rendre au concessionnaire Renault, ils lui trouveront une voiture rapidement, va chez le concessionnaire Renault il y a un choix disponible." Après l’avoir remercié du renseignement, comme je ne pouvais pas m' y rendre en raison d'un rendez-vous de chantier, je téléphonai à Mélusine pour lui expliquer et lui demander si elle pouvait passer chez Renault. Après quelques instants de discussion avec son patron, elle me reprend au téléphone pour me dire qu’elle s’en chargeait, qu’elle prendrait le prochain bus pour se rendre à la concession Renault. Le soir, elle me dit « J’ai signé pour une Renault 20, si on leur prend une R4 en deuxième voiture ils reprennent notre R5, au fond ce serait très bien pour les petites routes, et on aurait chacun sa voiture ». La R4 me convenait très bien, pour l’usage que j’avais à faire, peu de kilométrage à faire, mais sinueux, la R4 était haute de passage, ce serait très bien. J’optai pour le choix de Mélusine, et comme convenu, je passai signer les deux bons de commande dès 8 heures le lendemain matin. Le soir même Mélusine prenait possession de la R20, et moi de la R4 le lendemain soir, juste le temps de mettre en ordre nos contrats d’assurance.
Par contre il me fallait aller chez Peugeot, leur annoncer que je ne leur laisserai pas la R5 et qu’il fallait qu’ils me rendent mon chèque d’acompte, un acompte devenu invalide puisque les conditions de vente n’avaient pas été respectées et de leur fait. De nouveau face au directeur, la moutarde est montée, très haut, le gars ne mesurait pas moins 2 m, il se savait imposant en se dépliant de sa chaise, impressionné certes, je n’ai pas cédé, ma R5 l'intéressait, il la voulait à corps et à cri, refusant de me rembourser l’acompte versé pour la 504. Moi de lui rétorquer que j'avais la carte grise et la voiture, et qu'il ne l'aurait pas, d'autant plus qu'elle était déjà en dépôt chez Renault, etc, etc. Devant cette forme de chantage, je haussai encore le ton en argumentant qu’ils avaient été infichus de respecter leurs engagements, que la commande de la 504 était caduque, qu’ils devaient me rembourser mon acompte, et que la transaction de reprise de la Renault 5 tombait d'office. Ok me répondait-il, mais vous me vendez votre R5 au prix de reprise prévu. Que nenni de ma part, Renault me la reprend, et c'est conclu, la R5 est déjà chez eux. Cette annonce fit monter la pression d’un cran supplémentaire, l’un comme l’autre sommes devenus menaçants comme deux coqs, les noms d’oiseaux fusèrent allègrement, du monde arriva des autres bureaux pour voir ce qu’il se passait… Devant tous les spectateurs, soudainement le colosse se rassit, se tut, il sortit son carnet de chèque, et me remboursa mon acompte. J’ai toujours supposé qu’il avait déjà trouvé repreneur pour ma R5, nous ne le saurons jamais, ou qu'il avait besoin d'une carte grise de Renault 5 ...?
En arrivant au bureau, je raconte l’aventure à la comptable qui n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. Suite à ça, j’appris que la secrétaire de direction de la concession Renault n’était autre que la poule de Colon et la sœur du jeune dessinateur qui était sous ma responsabilité, pas spécialement doué, mais.... embauché par protection. Nous étions maintenant équipé de deux voitures, nous pouvions circuler avec des voitures neuves, achetées au tarif corse : la TV 33 % à l’époque sur les voiture vendues sur le continent, subissait un réfraction de 57 %, pour les insulaires, ce qui ramenait la TVA aux environs de 18% , soit leur TVA en Corse. Une belle économie sur ces deux voitures par rapport au continent que peu de gens connaissent, les insulaires ne s’en vantent pas, ce système de réfraction fonctionnait en Corse sur tous les taux de TVA, une tarification revue à la baisse et qui m’avait un peu dérouté sur les devis.
Le règlement de compte à la corse
Lorsque Mélusine prit son emploi chez Viel, il lui fallait faire garder Nic. En parlant au bureau, madame Niegro, la comptable, me dit, demandez à ….(un ouvrier de la boîte), Il habite près de chez vous, sa femme garde parfois des enfants, ça peut l’intéresser. Je demandai au gars en question, qui me répondit par l’affirmative, me donnant son adresse et me disant de venir voir sa femme le soir. C’était sur la place des Palmiers, à 200m de chez moi, on ne pouvait trouver mieux comme localisation. La transaction se fit, et cette gente dame récupéra Nic à l'école, le soir, pour le garder en attendant le retour de Mélusine, des son travail.
Un jour, je devais prendre ce même ouvrier qui avait un souci avec la voiture de la boîte, pour le déposer chez le concessionnaire, arrivant devant chez lui, j’entends des coups de feu. Je reconnus ce bon vieux calibre 11.43, qui tonne de façon caractéristique, très utilisé à l’époque dans les milieux mafiosos. Deux gars s’étaient battus au pistolet, à la régulière, façon western, sur la place des Palmiers, juste à côté de l'endroit où je devais prendre cet ouvrier. Deux type au sol, baignaient dans leur sang, l’un d’eux bougeait encore à notre arrivée, je me suis approché discrètement au milieu des badauds, un médecin arriva juste pour constater rapidement la mort de l’un, puis quelques instants plus tard celle de l’autre, vidé de son sang, du 11.43 dans le buffet, ça fait des dégâts. Sur le trajet, interrogeant l’ouvrier que je venais chercher, il me répondit, "c’est le boucher un autre gars qui habitait pas loin, le boucher se tapait sa femme, ils ont règlé ça à la régulière …. Un truc qui vous refroidit et vous incite à bien se renseigner sur la famille d'une cruche avant de vouloir en mesurer sa profondeur.… Un tel fait divers aurait défrayé la chronique sur le continent, en Corse, c’était le silence radio. Du coup, la veuve joyeuse, était joyeuse deux fois, plus de mari, plus de julot, la sélection naturelle avait frappé, elle pouvait se remettre en chasse !
La nuit bleue en Corse
En mai 1976 eut lieu « la nuit bleue », pas moins de 80 plastiquage eurent lieu dans la nuit, banques, agences de construction, Arès, Havas, Crédit agricole, tous avaient trinqué, pendant deux heures ce fut le tam-tam dans la nuit. On aurait cru un bombardement. Inquiet, j’arrivai au bureau, tout semblait normal, pas de commentaire, comme si j’avais rêvé. J’interpellai le dessinateur, lui demandai ce qu’il s’était passé la nuit, il me répondit évasivement « Oh rien, certainement des règlements de compte, j’en sais pas plus. »
C’était bien l’omerta sur ce sujet, la comptable muette, les gars idem, Colon aussi, de toute façon je ne lui demandais rien en dehors du boulot. Le lendemain, Mélusine me montra le journal qu'elle avait spécifiquement acheté pour en savoir plus sur ces plastiquage. il y avait des photos, des manifestants cagoulés, d'autres pas cagoulés, parmi lesquels je reconnu le jeune dessinateur de la boîte, pris en photo sur les lieux du plastiquage, et qui la veille m'avait dit n'être au courant de rien, c'est encore ça, la Corse.
Quelques jours plus tard, j’avais RV « exceptionnel » sur un chantier pratiquement terminé pour nous, à Porto Monaggui, sur la route de Cargèse. En arrivant en haut d’un petit col, la route surplombait l’ensemble des constructions, surprise : j'apercevais la mer au travers du bâtiment principal. Ce bâtiment construit par l’agence Arès (je crois), avait été plastiqué, et comment ! Personne n’en avait parlé, les journaux se faisaient évasifs, en Corse, il ne se passait jamais rien, une forme d’omerta.
Arrivé sur les lieux je fis un petit tour du bâtiment principal construit carrément les pieds dans l’eau, certainement ce qui était reproché par le FLNC, au promoteur, et à juste titre. Certains logements déjà habités avaient été abandonnés. Pour leur sécurité, les occupants avaient conduits sur la plage à plusieurs centaines de mètres, sous la menace des armes des plastiqueurs. Leurs logements ne furent pas franchement frappés par les explosions, les autonomistes respectaient les habitants, leur cible, c’était les sociétés d’investissement. Pas de préjudice aux habitants, et pas de sang versé, telle était à l’époque le principe des autonomistes. Par ailleurs, il y eut quand même beaucoup de casse chez les vedettes du show biz qui s'étaient fait construire des « villas » aux dimensions et apparences provocantes, ou située en un emplacement discutable sur le plan environnemental, souvent des permis de construire obtenus par combines ou pressions politiques, bien souvent depuis le continent. Ce fut le cas de celle d’un de nos clients qui était anglais, et pilote de ligne. Sa villa construite de dimension démentielle, sur le haut d’Isolella fut plastiquée deux fois. Pas grave pour nous, Colon fabriqua 3 fois les menuiseries, tout comme les autres entreprises du chantier firent leur travail 3 fois. A bien y regarder, les attentats rapportaient du travail aux entreprises de l’île. Quelque part les autonomistes rendaient justice en luttant contre des permis de construire accordés par magouille ou pots de vin.
Lors de l’inspection des bâtiments et logements, avec les architectes, la SOCOTEC, et les autorités, secrétaire général de la préfecture, du fait de mes connaissances sur les explosifs, je compris de suite que ce plastiquage n' avait pas été fait par des amateurs, les charges avaient été bien placées, bien calculées pour ne pas briser les porteurs, mais de façon à avoir un effet de souffle suffisant pour détruire tout ce qui était cloisons sèches, autrement dit, ce n’était pas des branquignoles qui avaient plastiqué. Je remarquai entre autres un effet dont j’avais entendu parler, sans l’avoir vu à l’armée, le travail des ondes de choc, par répercussion, bien loin de la zone d’explosion. Sur le chantier, ça s’était traduit par exemple, par des portes, situées hors zone de souffle, charnières et serrures arrachées, plaquées contre le mur opposé de la pièce, cela sans faire de dégâts dans des logements placés entre le point d’explosion et celui atteint par l’onde de choc. Très instructif comme spectacle. Après un inventaire interminable, les estimations d’assurances, les travaux ont pu reprendre sur les cages d’immeuble non habitées, pas terminées. En ce qui nous concernait il fallait relancer des fabrications de menuiseries, pour cela, il fallait refaire un dossier de marché, que celui-ci soit validé par tout le monde, puis validé par les assurances. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre Colon me demander de relancer des fabrications de menuiseries détruites, dont nous avions déjà les plans, sans pour autant en avoir le nouveau marché ??? A mon interrogation, il me répond, « de toute façon le marché est pour moi ». Je commençais à comprendre qu’il avait ses passe-droit un peu partout.
Dans un autre dossier, celui de l’école de Porticcio, j’avais chiffré au tout début de ma prise de poste la menuiserie de ce chantier, environ 500 000 francs. Offre rejetée à l’ouverture des enveloppes. Celui-ci revint me voir en bougonnant, il me dit, il faut jouer de 5%.
-Ok répondis-je, je vais diminuer de 5 % poste par poste pour arriver à quelque chose de cohérent.
-Non, non me répondit-il, en plus, tu ne diminues pas, tu majores ….
-?????
Je repris tous les détails à la hausse, sa fille retapa l’ensemble, et on a obtenu le marché. Pour qui étaient destinés les 5% supplémentaires pour faire passer le dossier ? Seul lui savait.
Le pavillon témoin
Tout fonctionnait pour le mieux, je me faisais beaucoup de connaissances, je me liais avec par mal de responsables de chantier, j’étais apprécié vraisemblablement pour une certaine ouverture à mes collègues, concurrents, architectes et clients avec une fermeté lorsqu’il le fallait, mais rien à voir avec les élucubrations de mon alcoolo de patron. Lors d’une réunion de chantier, je fus tiré à part par un promoteur important qui était à la tête d’une très grosse entreprise du BTP, c’était une personne importante en Corse et même sur le continent, notamment en région PACA. Au cours de la conversation je réalisai qu’il savait beaucoup de choses sur moi, beaucoup trop. Il me fit une proposition :
-Tu vois le pavillon témoin là bas, pour le vendre il nous faudrait tout rafraîchir, c’est un F3, si tu le veux, il est à toi pour pas cher.
- ???????
-Je sais que tu loues, c’est une affaire intéressante, je te le cède à moitié prix, il te faut faire les clôtures, la piscine dont l'emplacement est déjà prêt, évidemment il faudra aussi revoir les intérieurs qui sont défraîchis, ce pavillon a servi pour nos ventes, certaines tapisseries ou peintures sont à refaire, je te le laisse à 120 000 francs.
J’en tombai sur le cul, où était le piège ? C’était effectivement une affaire, ces pavillons étaient vendus 250 000 francs sans clôture ni piscine. A mon avis, cette proposition était trop belle pour être honnête. Je lui répondis :
- Vous me surprenez, vous me prenez de court, vous êtes prêt à sacrifier cette vente ?
- Oui, je dois clôturer le financement global de ce lotissement, pour cela tout doit être vendu, si je fais le nécessaire pour la vendre, entre les remises à niveau des peintures et tapisseries, le délai pour la vendre, je vais perdre 6 mois pour le moins, donc je préfère craquer le prix pour en faire profiter quelqu'un au lieu de ne toucher le solde du lotissement que dans 6 ou 8 mois.
Là je comprenais mieux, il s’asseyait sur 120 000 francs, desquels on pouvait déduire les travaux qu’il m’avait énumérés, mais quand même, le cadeau se ferait en échange de quoi ?????
-Ecoutez, lui répondis-je, il faut que j’en parle à ma femme, mais vous connaissez ma situation, la liquidation de mon ancienne entreprise n’est pas terminée, et je suis interdit de tout investissement.
-Je sais ce que c’est j’y suis passé… Voyez avec votre femme, si côté banque vous rencontrez des soucis, parlez en à Colon, je sais qu’il vous aidera, et si ça suffit pas, je vous prête ce qu’il manquera.
La mariée était trop belle, je fus encore plus sur la défensive, il voulait débloquer ses derniers financements, certes, mais sa gentillesse pourrait bien changer. Qu’allait-il me demander en échange ? Dans quelle magouille allait-il m’entraîner, il était connu pour être un magouilleur.
Quelques jours plus tard je lui fis part de notre rejet du projet. Combien de fois Mélusine et moi avons-nous repensé au rejet de cette proposition, nous serions restés en Corse. La question demeurait, quel était l’intérêt pour promoteur subitement généreux, sinon me tenir en laisse pour ses affaires ? Je ne souhaitais pas du tout à me retrouver sous le joug de cet individu, la magouille à la corse ne m’encourageait pas du tout dans cet achat. Certes, tout en haut des terrasses de Porticcio, pour les nivernais que nous étions, nous aurions été des princes. Mais peut-être aussi, aurions-nous été plastiqués ?
Le centre de vacances
Un matin, Colon arrive dans mon bureau, me disant
-Il y a un appel d’offre pour un village de vacances de 20 blocs qui va se construire dans la région de Cargèze, j’ai envie de répondre à cette adjudication, c'est un gros morceau.
-Pourquoi pas, il faudrait récupérer un jeu de plans, CCPT, et CG. On a déjà une idée du prix du dossier ?
-Je vais voir, mais c’est la charpente et l’isolation qui m’intéresseraient, la menuiserie est prévue aluminium.
-Quand vous aurez le montant du dossier, vous faites faire le chèque, j’enverrai le dessinateur récupérer le dossier d’appel d’offres.
Quelques jours après, le dossier en main, je jette un œil global, qui m'amena à lui dire, "Dans ce chantier il y a une grosse difficulté, ce sont de longues portées, et vu l’isolation à faire, c’est impossible en canadienne en raison du coefficient d'isolation exigé et de l’épaisseur d’isolation que ça va entraîner."
- Il repart à son bistro en bougonnant.
Il revient à la charge le lendemain matin, Colon avait contacté un fabriquant de lamellé-collé pour se faire fabriquer les fermes longue portée. Entre temps, j’avais réfléchi au souci que nous posait l'isolation, j’avais une idée. Au Vert Pays des Eaux Vives, j’avais étudié des couvertures isolantes pour l’ancienne usine Fiat à Fourchambald, un projet non retenu par les italiens qui ont investi ailleurs. Pour ce chantier, j’avais été mis en relation avec un directeur de Saint-Gobain, qui m’avait documenté sur un nouveau produit, semi porteur que se plaçait sous toiture, avec d’excellents coefficients d’isolation, ce produit était tout à fait adapté à une pose sous charpente en lamellé-collé. Je me remets en rapport avec ce directeur, qui fut surpris de mon appel depuis la Corse. Je lui explique notre problème, et devant les coefficients requis en raison de l’ensoleillement en Corse, il me répondit, « au niveau coefficient, on peut sans problème augmenter les épaisseur de ce produit et répondre aux prescriptions exigées, il faudra juste qu'on revoie les fixations, mais c’est pas un souci. » C'était déjà une bonne nouvelle pour ce chantier où les concurrents seraient rares et confrontés au même soucis de coefficients d'isolation, un domaine où grâce à cette passée pour ce chantier de Fourchambald, on avait une longueur d'avance.
D’emblée je demandai une tarification pour la surface totale, et avec un isolation correspondant au coefficient exigé. Une offre nous parvint rapidement et peu de temps plus tard, des échantillons d'isolant et des échantillons d’accessoires d’accrochage des panneaux arrivèrent par bateau.
Ces échantillons en main, nous avons pris rendez-vous avec la SOCOTEC et l’architecte du projet, je présentai les matériaux. Ces matériaux nouveaux, étaient inconnus en Corse, ce fut une surprise générale, intéressante par son tarif. L’architecte et la SOCOTEC nous promirent de tenir le secret sur cette option. Ils ont tenu parole, je me suis remis au boulot, et préparai les chiffrages, ce fut la surprise totale pour la concurrence. Comme il s’agissait d’un très gros marché, Colon me demanda de faire le chiffrage avec moi, près de deux ans que je jouais dans cette cour là, quelle belle marque de confiance, néanmoins ça montait très haut, je ne me rappelle plus les chiffres, je remballai mon orgueil, d'un autre côté il y avait de quoi inquiéter un patron, c'était légitime, et si ça l’amusait de me cracher dans les mains, pourquoi pas. Je fis un détail et un quantitatif par bâtiment, avec le planning d’approvisionnement en fonction des dates avancées au planning de marché. Quelques jours plus tard, je vis rapidement Colon pour lui faire part de mon avancement, on arrivait au chiffrage définitif. Dans la foulée je lui proposai de finaliser le chiffrage le lendemain matin. Prudent, sous prétexte de ne pas être dérangé, je lui proposai de clore ce chiffrage avec lui à 4 heures du matin, heure où normalement il serait à jeun. Le lendemain à 8 heures, le chiffrage était terminé, restait à rédiger l’offre, et la faire taper par sa fille. Colon qui devait tirer la langue depuis un moment partit en douce, je me dis, ça y est il va à son second et principal bureau.
Vers 9 heures, un de ses beaux frères vint me signaler qu’ils avaient fini la fabrication d'une série, me demandant les fiches de fabrication d’une autre série. Je lui donnai de suite des fiches de fabrication qui étaient prêtes pour un nouveau chantier. Cela semblait normal, il ne fallait pas arrêter la production.
Vers 11 heures, j’entends la Mercédès brailler dans la cour, je me dis, ça y est il en tient encore une bonne. Quelques minutes plus tard j’entendis Colon hurler dans l’atelier, puis faire irruption dans les bureaux en bousculant au passage le jeune dessinateur, puis il entra dans mon bureau pour m’interpeller :
-Pourquoi tu as donné cette fabrication à l’atelier ?
-Parce qu’ils étaient à l’arrêt et qu’ils me l’ont demandé, les fiches étaient prêtes.
- Tu te crois en pays conquis ou quoi ?
-Ah bon, vous préférez qu’ils glandent ?......
Il répète encore plus fort, affirmatif cette fois :
-Tu te conduis vraiment comme en pays conquis !
-Hé bien vous n’avez qu’à me faire sauter, ici vous savez faire.
Je le vis armer son coup de poing, me détournant vivement, son poing passa à deux doigts de mon nez, je saisis son bras au retour, l’accompagnai d’une clé bien appuyée en direction du sol pour le déstabiliser et le faire tomber. La table à dessin qui se trouvait dans sa trajectoire descendit sous le poids pour stopper sa chute à mi course, il se retrouva à 40 cm du sol, pieds désarçonnés. Je relâchai ma prise, il se releva, tout penaud, j’étais prêt à contre attaquer, tout cela sous l’oeil du dessinateur accouru à une porte et de la comptable à l’autre, tous deux attirés par son coup de gueule, ils avaient assisté à toute la scène. Il sortit en bousculant la comptable, je ne le revis pas de la journée.
La comptable me dit
- Je ne pensais pas qu’il en arriverait là, mais c’est plus tenable.
Ce à quoi je lui répondis,
- je pense que je n’ai plus rien à faire ici, je vais lui écrire.
Je pris ma voiture et partis en avance sur un chantier, histoire de m’oxygéner un peu la tête. De retour au bureau à 13h30 comme d’habitude, c’était le calme plat, comme si rien ne s’était passé, puis je me rendis à une réunion de chantier. Le soir, après avoir expliqué l’affaire à Mélusine, je rédigeai une lettre recommandée à mon cher patron. Dans ce courrier, je rappelai les faits, et ses actes qui ont entraîné ma réplique défensive, concluant par les termes suivant : « Attendu que cette situation résulte uniquement de votre fait, que vous avez tenté de me frapper, je me considère libre de tout engagement envers votre entreprise, à dater du jour de la réception de la présente. Me retrouvant de fait sans emploi, je restai libre du choix de la date de mon départ en fonction de l’emploi que je trouverai», s’en suivait la rituelle formule de politesse. Lettre postée le lendemain matin, j’en avisai la comptable qui me regarda d’un air bien emmerdé, sans me répondre. En effet, j’avais apprécié la collaboration avec cette personne efficace, qui inversement, m’avait tout autant apprécié ces deux années écoulées.
Ne souhaitant pas quitter la Corse, je me mis en quête d’un autre emploi. J’en informai mes relations de chantier, les architectes, les conducteurs de travaux, et les autres entreprises, tous peu surpris de cette affaire. Après avoir fourni quelques explications, la plus part de ces personnes ayant déjà vécu le départ de mon prédécesseur très apprécié par ailleurs, tous connaissant bien Colon et son alcoolisme, me donnèrent raison de chercher ailleurs. Dans les quelques jours qui suivirent, je reçus au bureau un appel téléphonique d’un architecte qui me proposait du boulot à son bureau d’étude, malheureusement payé au black. Je déclinai tout en gardant la porte ouverte pour le cas où je ne trouverais rien d’autre, ou si la situation devenait intenable avec Colon, lui proposant, s’il était débordé, de le dépanner sur des études. Or rien d’intenable ne survint pendant les deux mois qui suivirent, Colon se tenait sage, je faisais des recherches sur le Moniteur du Bâtiment, le Monde, etc. Je trouvai, à Mezzavia, un poste de conducteur de travaux, tout près de l’entreprise Colon, trop près, car rapidement il sut que j’avais postulé. Il me cassa la baraque.
Puis je trouvai dans Corse Nice Matin, une annonce pour un poste de responsable de production à Bonifaccio. Je rencontrai le patron, nous fîmes le tour de l’atelier de quelques chantiers, le poste me convenait très bien, le salaire un peu moindre, mais le poste logé sur le site, c’était le top pour partir d’Ajaccio sans trop de souci. Tout allait pour le mieux, je préparai mon déménagement. Puis un soir, appel au téléphone du patron de cette sté, qui me dit décliner mon embauche. Je mis un coup de pression au type pour connaître le pourquoi et le comment de ce subit revirement. Gêné il m’avoua qu’il avait été appelé par Colon, lui demandant de ne pas m’embaucher…. Un peu surprenant certes, mais en Corse, toutes les influences existent, celle qui consistent à ne pas se mettre en travers de Colon existait bel et bien. Colon était coutumier du renvoi d’ascenseur sur les affaires, notamment les adjudications. Il avait la plus grosse entreprise de menuiserie de l’île, il faisait sa loi, le faisait savoir. Je découvris ainsi que Colon suivait toutes les annonces de l’île qui auraient pu m’intéresser, me pistant pour torpiller mes demandes d’emploi. Je ne l’avais pas compris de suite, il voulait que je reste. Je le sus par déduction quelques jours plus tard, lorsque l'épouse de Colon qui détenait avec ses deux frères, toutes les actions de l’entreprise, déboula à la maison pour plaider la cause de Colon auprès de Mélusine, lui demandant de me convaincre de rester, que Colon n'était pas un mauvais bougre, mais que l'alcool le détruisait, et que malgré tout il regrettait cette affaire, etc, etc... Je ne cédai pas pour autant. Un soir, elle m’attendait dans sa voiture à la sortie de l’entreprise, me stoppant elle me demanda de la suivre pour qu’on discute de mon départ. Devant son insistance, je la suivi jusqu’à un troquet voisinant où elle m’étala la situation, la sienne, sa position, ses intérêts dans l'entreprise, elle me demanda officiellement de rester, dans, les intérêts de tous, je pense qu'elle était consciente que son mari menait l'entreprise à sa perte, ce qui ne manqua pas de survenir trois ans plus tard. A écouter Mme Colon, on aurait pu croire que j’étais irremplaçable, mais je considérai la casquette vraiment trop grande pour moi… Je pense même qu’en acceptant, j’aurais pu bénéficier des « faveurs » de la dame, je connaissais la facilité avec laquelle elle compensait « l’indisponibilité alcoolique » de son bonhomme, je fus de suite sur la défensive et campai sur ma position de départ. Longtemps après, et encore maintenant, je pense que cette décision fut certainement celle de ma vie. Sauf à me faire flinguer par Colon, en jouant au gigolo, je me serais infailliblement retrouvé à la tête de l’entreprise. Mais que voulez-vous, j’avais 29 ans, j’aimais Mélusine, une fée Mélusine pas encore mutée en fée Carabosse, une fée Carabosse vicieusement cachée derrière les mâchoires de fée Lation. Ma situation matrimoniale me convenait, Mélusine et moi avions un fils de 4 ans, alors que la femme de Colon avait 40 ans, belle allure certes, mais malgré les camouflages, les dégâts des expositions solaires étaient bien présents, son carnet de chèque existait aussi... Je ne m’engageai pas sur ce terrain là, et persistai dans mon idée de départ de l’île, certain que Colon serait toujours aussi chiant qu’avant le conflit. Si j’avais su que Mélusine muterait en Carabosse, peut-être aurais-je vu les choses différemment.
Ces deux échecs torpillés par Colon me confortèrent dans l’idée que tant je serais en Corse, il me causerait des ennuis. C’est de là que je décidai de faire mes valises. Fort de cet échec, j’élargis mes recherches d’emploi, objectif, quitter l’île. L’affaire n’était pas du goût de Mélusine qui se plaisait à son emploi, bien payée de surcroît. Mais réalité obligeait, souvent elle me reprocha ce départ, le doute sur cette décision radicale à ce jour m’habite encore aujourd’hui.
Quelques jours plus tard une entreprise de la banlieue d’Orléans à qui j"avais transmis mon CV me répondit, j’avais postulé quelques semaines plus tôt à son annonce parue dans le Moniteur du Bâtiment. Après un long appel téléphonique avec le patron, PYC, il fut convenu d’une embauche, du salaire, et d’une période d’essai, en gros la procédure habituelle, sauf que je ne me suis pas déplacé au préalable, tout s’est réglé par téléphone, l'engagement pour une période d'essai fut signé par échange de courrier. Je pense que si j’avais eu ce zozo en face de moi, je n’aurais certainement pas opté pour cette entreprise située à Saint Jean de Braye, en périphérie d’Orléans.
Le jour de mon départ de Corse arriva, je réglai les formalités avec le propriétaire de mon logement, et fis cartons et valises. Puis je décidai d’aller jeter les déchets dans une grande décharge située au 2 kilomètres plus haut dans la montagne. En arrivant, on surplombait tout le site de cette décharge ? Que vois-je au beau milieu : la carlingue du Boeing 707 qui avait été plastiqué lors de la nuit bleue, coupé en morceaux pour être transporté dans ce crassier. Mon appareil photo était déjà emballé, c’était bien dommage, le cliché était exceptionnel, la vue d’un Boeing dans une décharge était franchement incroyable, il fallait être en Corse pour voir ça. Bien évidemment les réacteurs et pièces importantes avaient été retirées, les restes représentaient quand même des tonnes d’aluminium bazardées ainsi. On ne voit ça qu’en Corse. C’est sur ces images que j’embarquai le soir pour Marseille avec les deux voitures bien chargées. Je passai par le Ranch triple S, pour délester une partie des voitures, et continuer ma route sur Sainte Balise de Castrel. Le lendemain, je prenais la direction d’Orléans où j’avais rendez-vous avec mon futur patron.
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Orléans
Arrivé à Orléans, je trouvai assez facilement la zone industrielle de Saint Jean de Braye, puis l’entreprise où le patron, PYC m’attendait, il était plus jeune que moi, d'une allure façon jeune cadre dynamique qui m’alerta de suite. Une impression que les mois suivants m’ont confirmée, comme s'est confirmée sa fumisterie vis-à-vis du personnel. Après avoir conclu le contrat de travail, je me mis en quête d’un appartement. Ce n’était pas facile à trouver sur Orléans, j’avais demandé des indices à mon patron, vu le peu d’intérêt que celui-ci apporta à ma demande, je commençai d’emblée à être sur la défensive, la première impression se confirmait déjà : ce n’était pas son problème, donc c'était un vrai petit con.
Je pris possession du bureau dont je devais assumer l’organisation il me fut présenté deux personnes que selon PYC, je devais considérer comme mes collaborateurs, sous mes ordres (Encore une surprise, comme si je n'étais pas capable de me faire une idée sur les personnes...), Il y avait :
-Grand Pierre, un jeune de 22-23 ans, assez efficace, il avait en charge la partie menuiserie aluminium, une fabrication que je ne connaissais que de loin, et dont je lui laissais volontiers la conduite, ce qu’il apprécia, lui-même tenant à conserver son autonomie, le courant passa très bien avec lui, et très rapidement, cette attitude amicalement réciproque apparut comme n'étant pas du goût de PYC adepte du « diviser pour régner ».
-Angel, un jeune portugais, sorti de l’atelier, qui connaissait très bien toutes les ficelles, très gentil, qui apprenait vite, mais lui aussi, traité bassement par PYC. Angel me sut gré de n’en avoir pas rajouté à son mal vivre depuis son installation au bureau sur conseil du chef d’atelier. Ce chef d’atelier avait la cinquantaine, il avait connu PYC en culottes courtes, lorsque le père de PYC était le patron. Or PYC mettait régulièrement Angel plus bas que terre, celui-ci le vivait mal, il fut heureux que mon soutient s’ajoute à celui de Grand-Pierre et du chef d’atelier. Par contre mes prises de position, les heures passées à le former aux métrages agaçaient PYC. C’était franchement un petit con, je ne ferai donc pas de vieux os ici, mes collègues le comprirent rapidement, s'en ouvrirent même à moi. Je ne parlai pas de cette tension à Mélusine pour ne pas l’agacer, par contre je cessai mes recherches de logement. Dans l’idée de chercher autre chose ailleurs, je décidai de ne pas prendre d'engagements fermes, préférant louer une caravane sur le camping de Chécy à quelques kilomètres pour terminer mon engagement d'essai. Ce ne fut pas du goût de PYC qui, au travers de ces repères là, avait dut sentir venir mon départ de son entreprise, mon préavis se terminait dans 3 mois, il était facile de deviner que je botterais en touche.
Entre temps, je pus racheter mes machines par le biais de mon père, et Mélusine la maison par le biais du sien. Nous pourrons ainsi réintégrer la maison, l’atelier pourrait fonctionner à nouveau, une nouvelle porte s’ouvrait, j’avais dans la tête de fabriquer du meuble massif, artisanal, un débouché en pleine ascension à l’époque. Pendant les mois qui suivirent j’allai de surprise en surprise, pour finir par casser le bail avec PYC avant la fin de la période d’essai. En effet, PYC s’est révélé être un magnifique petit con, pas d’autres mots pour qualifier ce jeune patron qui se la jouait à la jeune cadre dynamique, maltraitant son personnel, le prenant carrément pour de la merde ! Son entreprise, montée de toute part par son père lui était tombée du ciel, PYC était un beau fils à papa. Il ne connaissait rien au métier, rien à la conduite des hommes, il ne connaissait que la forfaiture et la combine malsaine et avilissante, je regrettais déjà la Corse. Mélusine de son côté avait trouvé un poste de secrétaire de direction chez un grossiste en vin très connu, et bien payée, elle vivait bien son emploi, quelle déception de ne pas être logés à la même enseigne, PYC était connu dans l'entreprise où travaillait Mélusine, exactement comme je l’ai dépeint, ses collègues lui ont confirmé qu’il était connu comme un beau salaud. Elle ne fut pas surprise de la mauvaise finalité de mon embauche et ne me tint pas rigueur de mon retour à Sainte Balise de Castrel. Un peu avant la fin de la période d’essai, à ma demande, j’eus une sérieuse discussion avec PYC, je lui dis clairement que pour le personnage mal embouché que j’étais, une chose était sacrée : le respect des personnes au travail, que le personnel comptait plus que tout si on voulait pouvoir compter sur eux, et qu'il ferait bien d'y réfléchir lui-même s'il voulait être un vrai patron. Comme il n’était pas d’accord avec cette approche sur le commandement, l’affaire était dite, je le savais d’avance, lui aussi, il fut convenu de mon départ. Ce départ ne mit pas en joie Mélusine, je crois même que la fée Lation abandonna quelques temps le corps de Mélusine … Néanmoins, malgré son inquiétude pour la suite, elle ne fut pas mécontente de se retrouver dans ses murs à Sainte Balise de Castrel, puis Lation réintégra Mélusine.
C’est ainsi que je repris pied au Vert Pays des Eaux Vives. Revenu dans ma maison, je recommençai des recherches d’emploi, une réponse me parvint d’une entreprise de Loire Atlantique, je rencontrai les patrons, trois frères avec le père encore en activité, et qui supervisait tout. Mon profil semblait leur convenir, les conditions me convenaient, un poste de métreur dans une entreprise de 100 personnes, c’était un bon challenge, pourquoi pas cette région ? Après l’entretien, les deux frères m’accompagnèrent au bar de l’entreprise, quelques instants plus tard, ils me présentèrent leur père, on discuta, et subitement il me brancha sur la Corse, m’avouant qu’il était d’origine Corse et que le nom de Colon lui disait quelque chose, sans plus. Puis je pris le chemin du retour. Quatre jours plus tard je reçus un courrier déclinant mon embauche, je saute sur le téléphone, pour apprendre que le patriarche avait fait jouer ses relations en Corse pour avoir Colon au téléphone, la suite coule de source, les corses ne se mangent pas, le fils que j’ai eu au téléphone s’avouait navré, mais patriarche décidait, point. A cet instant je compris qu’à tout poste de responsabilité pour lequel je pouvais postuler, si des demandes de renseignements atterrissaient sur le bureau de Colon, mon passage chez lui, envers et contre tout me serait toujours opposé.
Force est d’admettre qu’il me fallait faire autre chose, je décidai de lancer dans une fabrication de meubles, ma liquidation pas encore clôturée, c’était risqué, Mélusine avec qui j’avais fait une séparation de biens pour cette cause, me servit de prête nom pour l’entreprise Tradibois.
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